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remarquables de M. Bernard et de tant de savans qui les ont appuyés et confirmés. Ainsi M. Poggiale, professeur de chimie au Val-de-Grâce, a communiqué le 16 avril 1855 à l’Académie des Sciences un mémoire où il conclut comme M. Bernard. Il pense que le sucre se forme aux dépens des alimens azotés, et peut-être aussi des graisses. Il en est de même de M. Leconte. M. Moleschott, professeur de chimie à Heidelberg, a en 1852 enlevé le foie à des grenouilles qu’il a pu, après l’opération, conserver quelques semaines vivantes, et le sucre avait disparu du sang, de l’estomac et des muscles. Les analyses de M. Lehmann surtout ont confirmé celles du physiologiste qui nous occupe. Enfin M. Magendie, M. Dumas et M. Rayer ont appuyé et vérifié les expériences et les conclusions de M. Bernard.

Je ne cite point tous ces noms pour écraser M. Figuier sous le poids des autorités. Les autorités ne sont rien, la raison et l’expérience sont tout, et les membres même de l’Académie des Sciences peuvent se tromper. Les défenseurs illustres n’ont jamais manqué aux causes les plus mauvaises. Pourtant M. Figuier n’a pas mis peut-être dans ses travaux toute la réserve nécessaire en présence de tant et de si habiles adversaires. Il aurait peut-être dû se souvenir que, M. Magendie mort, M. Bernard est le premier des physiologistes vivans, et qu’il mérite d’être toujours très sérieusement discuté. Même quand il a tort, et nous ne croyons pas que ce soit ici le cas, on peut dire que par son habileté, sa sagacité, sa merveilleuse faculté d’expérimentation et d’induction, il mérite presque toujours d’avoir raison. D’un autre côté aussi, M. Bernard lui-même n’a pas toujours, ni dans ses leçons, ni dans son livre, assez estimé ses adversaires. Il a trop dédaigné leurs personnes et leurs travaux. Il a un peu abusé de sa position supérieure et de son talent. Il n’a pas toujours assez réfléchi que le dédain n’a jamais convaincu personne, et il a confondu dans un égal mépris des objections très réelles et des assertions hasardées. La cause de M. Bernard est d’ailleurs assez bonne, je pense, pour qu’il puisse convenir que parfois il s’est trompé. Rien n’est plus funeste pour les savans et pour la science que l’intervention du principe qu’on appelle aujourd’hui le principe d’autorité. Les discussions les plus vives et les plus fondamentales ne doivent jamais passer certaines limites, et il convient qu’on puisse penser comme on veut sur la glycogénie sans être exposé à des injures ou à des personnalités. La liberté de discussion est assez généralement honnie. Tâchons de lui offrir un dernier refuge et de la conserver pour l’attaque comme pour la défense des théories les plus diverses. Dans la science aussi elle est désirable et féconde, et ne manque pas de grandeur.


PAUL DE REMUSAT.