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jusqu’au moment où l’on a obtenu un résultat satisfaisant, où la loi trouvée est raisonnable, et l’expérience d’accord avec la raison. Si Lavoisier n’avait été convaincu d’avance que l’eau ne peut se changer en terre malgré l’assertion des chimistes de son temps, il s’en serait tenu à sa première expérience, qui semblait lui donner tort, et il n’aurait pas eu l’idée ingénieuse, mais hardie, de nier son propre résultat et d’attribuer à une décomposition du verre la poussière terreuse qu’il vit au fond de son alambic. Les expériences qui ne sont pas guidées par des théories, qui ne sont pas destinées à vérifier des lois formulées par la raison, peuvent sans cesse rester stériles, et l’on peut passer auprès du plus beau résultat sans l’entrevoir. D’un autre côté aussi, la méthode contraire est dangereuse. On voit mal lorsqu’on veut voir d’une certaine façon. L’imagination agit sur les sens eux-mêmes, et l’on voit ce que l’on voudrait voir et non pas ce qui est. On nie les faits les plus concluans, on exagère l’importance de faits douteux. Cela est si facile d’inventer une théorie et de la vérifier. Les faits se présentent en foule à un esprit complaisant qui repousse ce qui lui déplaît. Si Harvey, avant de faire ses expériences, n’avait pas débarrassé son esprit de tous les préjugés et de toutes les théories de son temps, jamais il n’aurait découvert la circulation, et ses observations mal comprises n’auraient peut-être fait que confirmer ses erreurs. N’est-il pas plus commode d’élever un édifice sur un terrain vide et uni que sur un sol embarrassé de constructions qu’il faut respecter, de murs que l’on ne veut pas abattre? Entre ces deux méthodes, le choix est difficile. Je sais bien qu’on nous dit : Il faut avoir des théories qui puissent guider l’observation, et il faut les abandonner quand les faits sont contraires; — mais là justement est le difficile. Pour s’arrêter ainsi à temps, il faut un esprit bien flexible, qui respecte les faits et n’aime pas à les plier à sa volonté. Il faut ne pas vouloir toujours avoir raison. Une telle sagesse, une telle modération, sont rares, et le juste milieu ne convient pas à tous les esprits. Aussi, tout en admettant que c’est là le meilleur et le plus sûr, ne puis-je faire un crime à M. Figuier d’avoir suivi le chemin contraire, et d’avoir désigné d’avance le but où il aspirait et les moyens d’y arriver.

Les expériences de M. Bernard paraissent bien précises et bien certaines. Aussi M. Figuier, dans son premier mémoire, publié il y a un an, en février 1855, ne les attaque-t-il pas directement. Il pense qu’il y a du sucre là où on en a trouvé, mais il pense aussi qu’il peut en exister dans des parties de l’organisme où l’on n’en a pas découvert, c’est-à-dire dans le sang avant le foie ou après le poumon. Suivant lui, les vaisseaux, la chair et le sang contiennent toujours du glycose, et en nourrissant les chiens avec de la viande, on