Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avait fait du masque humain une étude approfondie, et saisissait avec une rare sagacité tous les signes de la passion ou de la pensée. Les bustes de Chateaubriand et de Béranger, de Bentham et de Fenimore Cooper, sont des œuvres accomplies, et je crois difficile non-seulement de les surpasser, mais de les égaler. Malheureusement l’auteur de ces admirables portraits a voulu pousser trop loin l’interprétation des caractères individuels, et son engouement pour la phrénologie a plus d’une fois égaré sa main. Pour justifier le reproche que je viens d’énoncer, il me suffira de citer les bustes de Goethe et de Victor Hugo. En modelant ces deux derniers portraits, David a donné au front une telle importance, un tel développement, que toute l’ordonnance du visage en est troublée. Et comme la tête de Goethe est trois fois grande comme nature, celle de Victor Hugo deux fois au moins, les dangers de la phrénologie appliquée à la statuaire frappent les yeux des ignorans aussi bien que ceux des hommes éclairés. Les ignorans s’étonnent et se récrient sans deviner l’origine de leur mécontentement, les hommes éclairés signalent sans hésiter la cause de leur déplaisir. Au fond, c’est toujours le même avis; c’est toujours au développement exagéré du front qu’il faut rapporter la singularité de ces deux ouvrages. Le défaut que j’indique est d’autant plus regrettable, que les bustes de Goethe et de Victor Hugo se recommandent d’ailleurs par une grande finesse d’exécution. Si le front était ramené aux proportions que le bon sens avoue, ils exciteraient, je n’en doute pas, une admiration unanime. Les yeux et la bouche sont traités avec un savoir profond; mais il est trop évident que la phrénologie a passé par là. David, dont le regard était si pénétrant, la main si docile, après avoir modelé fidèlement ce qu’il voyait, a tout à coup changé de méthode pour exprimer ce qui lui semblait nécessaire au lieu de ce qu’il avait aperçu. Comment concilier Faust et Notre-Dame de Paris avec un front pareil à ceux que nous voyons? La phrénologie, telle du moins que David la concevait, voulait pour de telles œuvres un front colossal, et la main de l’auteur a docilement reproduit l’erreur de sa pensée. Les portraits de Tieck et de Rauch sont plus simplement conçus. Ceux de Berzélius et d’Arago méritent le même éloge. En somme, dans cette galerie si nombreuse, malgré les fautes que j’ai relevées, l’admiration trouve à s’exercer librement, et l’Europe à cet égard est du même avis que la France.

Quelques médaillons aussi grands que nature, ceux de Casimir Périer, de Gohier, de Rouget de Lisle, sont à bon droit considérés par les connaisseurs comme des modèles de précision et de vérité. Taillés dans le marbre, traités largement, ils ne laissent rien à désirer sous le rapport de la souplesse et de la vie. Les médaillons en