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tiques qui circulent de ce côté de l’Atlantique, on ne voit plus guère ce qui a pu mériter la publicité à des fragmens aussi crus et à un langage aussi imparfait et aussi peu soigneux. Peut-être la précipitation, qui semble être l’état normal de la vie américaine, a-t-elle poussé les éditeurs à se hâter d’imprimer ce que l’auteur lui-même, s’il eût vécu, eût gardé en portefeuille pour le revoir et le méditer. Tel qu’on nous l’a donné, le volume, quoiqu’il ne soit pas absolument sans renfermer quelques justes aperçus, ne saurait rendre qu’un faible témoignage aux talens et aux connaissances de M. Wallace, et il confirme mal ce que des plumes amies racontent de ses études et de ses capacités dans les notices louangeuses qui remplissent les trente premières pages.

Le volume s’ouvre par quatre morceaux de peu d’étendue, où sont traités les plus mystérieux problèmes de l’esthétique. Le premier développe l’idée que l’art est une émanation du sentiment religieux ; le second est consacré à démontrer que l’art est symbolique et non imitatif ; le troisième nous donne la loi du développement de l’architecture gothique ; dans le quatrième, l’auteur recherche les principes du beau dans les œuvres d’art. Si les conclusions de ces essais étaient vraiment satisfaisantes, et si M. Wallace avait été aussi profond et aussi judicieux qu’il a été concis et rapide dans ses jugemens, nous aurions ainsi, dans quatre fois vingt pages de lecture facile, la solution de ces questions intéressantes et ardues. Malheureusement les difficultés du sujet ne paraissent paus avoir épouvanté l’auteur, probablement parce qu’il ne les apercevait pas ; au lieu de l’arrêter dans ses raisonnemens, elles l’entraînent seulement à se contredire lui-même. Ainsi, au commencement de son premier essai, il écrit ces mots : « La faculté créatrice qui fait l’artiste est une faculté distincte et indépendante, originale et naturelle, un don accordé à quelques-uns et refusé aux autres, qui implique sans doute une organisation cérébrale ou au moins un développement d’espèce particulière. » Et deux pages plus loin, dans le même essai, il attribue au même instinct une tout autre origine. Nous lisons que « la faculté artistique n’est pas autre chose qu’un intense sentiment religieux qui opère imaginativement, ou une vive imagination agissant sous l’influence d’un sentiment religieux qui l’échauffé et l’élève. » Un déploiement aussi formidable d’inconséquence au début du premier et du principal morceau donne une mauvaise idée des pages qui restent à lire, et de fait elles sont remplies d’idées mal digérées et d’assertions précipitées. On y trouve pourtant, comme nous l’avons dit, des passages disséminés qui indiquent confusément quelques vagues perceptions dans le sens de l’art, et probablement une certaine fibre pour le sentir ; mais, quoique cette aptitude naturelle et toute spéciale à recevoir des impressions plastiques soit aussi indispensable à celui qui juge qu’à celui qui pratique, elle a besoin chez l’un et chez l’autre d’être complétée par une forte dose d’instruction technique. Et, à vrai dire, pour pouvoir réellement apprécier une œuvre, il faut à peu de chose près la même éducation que pour pouvoir la produire. Sans cette préparation, on peut, quand on est docte en d’autres matières, écrire des choses très sagaces au sujet d’une peinture ; néanmoins, si l’on ne donne pas dans le faux, on n’entre qu’à peine dans le vrai, ou l’on reste tout à fait à côté. M. Wallace ne diffère pas de la grande majorité des lettrés qui ont prononcé sur l’art