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à ses murailles, mais il les répare avec une incroyable rapidité… Il finit cependant par voir que sa défense ne pourra pas se prolonger beaucoup, et alors il a recours à un expédient. Au nombre des connaissances secrètes qu’il a acquises pendant ses lointains voyages, il compte celle de la fabrication redoutable d’une poussière noire qui éclate au contact du feu et renverse tout autour d’elle. C’est la poudre à canon, que le génie industrieux de l’Occident vient d’inventer. Il rapporte ce secret et imagine de s’en servir pour la première fois contre les Russes. Aidé fidèlement par un guerrier suédois nommé Winholth, il lui confie la défense des murailles, pendant que lui-même, assis devant sa chaudière bouillonnante ou devant le mortier où il pile et broie tout le jour, il fabrique l’horrible matière, à laquelle il ne faut plus qu’une étincelle pour renverser maisons, tours et murailles. Par son ordre, la chaudière est placée dans un trou pratiqué sous la tour principale, dont les autres fortifications dépendent, et un de ses serviteurs est chargé d’y mettre le feu quand il en donnera le signal. — C’était le matin de la Saint-André, le 30 novembre 1395. Les Russes, avec de grands cris et au son des trompes, se précipitent vers la ville, appliquent leurs échelles contre la grande tour qui donne entrée dans la place, et commencent l’assaut. Alors Knut Posse, sans s’émouvoir, assemble sa petite troupe dans la cour du château ; il déploie fièrement la bannière suédoise, qui porte les images de saint Éric et de saint Olaf, et il la fixe devant l’ennemi, qu’il laisse sans se troubler gravir les premiers murs. Cela fait, il donne le signal. La tour s’écroule, et les murs qui l’entouraient écrasent des milliers de Russes. Ce fut ce qu’on appela l’explosion de Wiborg. Le rusé vainqueur reçut de ses compatriotes de grands éloges et de riches domaines en Finlande, et les Russes chantèrent pendant bien longtemps dans leurs litanies : « De l’explosion de Wiborg et de Knut Posse préservez-nous, Seigneur ! »

Un second récit contient encore un épisode de ces guerres incessantes en Finlande ; celui-là date de 1335. La Finlande mettait fréquemment aux prises, il est vrai, Suédois et Russes ; mais, toute suédoise par la langue, la civilisation, la religion et le cœur, cette belle et riche province résistait facilement après tout, bien défendue non pas seulement par le courage de ses habitans, mais aussi par la configuration même de son territoire, entrecoupé de lacs et de forêts.

Charles XII ne pouvait manquer d’avoir sa place dans cette galerie toute suédoise. Son imprudence, il est vrai, a éveillé la Russie, jusque-là peu puissante, et ses victoires ont instruit ses ennemis ; mais les Suédois ont oublié ses fautes pour ne se rappeler que son héroïque ardeur et son courage. Je me souviens d’avoir entendu l’an dernier, sur la principale scène de Stockholm, un acteur intelligent, prenant le vêtement et la physionomie de Charles XII, ses grosses bottes et sa houppelande de drap bleu, réciter avec talent les beaux vers de M. Ridderstad sur Charles XII à Frederikshall, un monologue au bruit du canon. Il fallait entendre les applaudissemens de toute la salle à cette voix du héros dans lequel les Suédois prétendent retrouver leur image. Les rudes apostrophes à la Russie ne manquaient pas dans cette ardente poésie ; le parterre les saisissait avec enthousiasme, et les théâtres de la province, répétant les mêmes scènes, offraient les mêmes échos.