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la mythologie et de la littérature germaniques ; en exhumant toutes ces richesses, ils ont eu maintes occasions de noter les transformations de la langue, de marquer le sens primitif d’un mot et de suivre ses destinées dans le cours des âges. Tout cela se retrouve dans le dictionnaire qu’ils publient aujourd’hui, dictionnaire sans précédens, dictionnaire impossible jusque-là, car il ne pouvait naître avant les immenses travaux de la philologie du xixe siècle, et il exigeait toute une carrière comme celle de Jacob Grimm assisté de son digne frère.

Quelle est l’inspiration de M. Jacob Grimm ? Un amour passionné de la langue de son pays. Ce n’est pas le grammairien d’autrefois, défiant, méticuleux, voyant partout des solécismes et châtiant le peuple avec sa férule ; ce n’est pas le philosophe scythe émondant à coups de serpette le feuillage trop touffu ; il a foi dans l’idiome du peuple, il recueille avec piété les termes, les locutions, les tours de phrase que tout le monde emploie, il interroge les documens primitifs et les livres populaires aussi bien que les œuvres classiques des maîtres, il étend même, autant qu’il le peut, les limites de son domaine ; tous les pays où la langue allemande est parlée lui fournissent des indications, et le romancier populaire de la Suisse allemande, Jérémie Gotthelf, est invoqué à côté de Luther et de Goethe.

Ceux qui veulent connaître dans son fond le plus intime le génie des idiomes germaniques ne sauraient choisir un autre guide que celui-là ; c’est à la fois, dans le même tableau, l’histoire et la philosophie de la langue. Sous la gravité de la science, on sent à chaque page l’enthousiasme de la poésie. — Voyez cette montagne immense, dit quelque part Henri Heine, c’est l’érudition de Jacob Grimm ; voyez au pied de la montagne la source fraîche et limpide qui en sort, c’est l’imagination de Jacob Grimm. — Rien de plus vrai ; cette fraîcheur de pensée, cet enthousiasme poétique et national éclatent dans l’abondance et le choix des citations littéraires qui viennent expliquer l’histoire des mots. La préface est un chef-d’œuvre d’exposition : l’éminent philologue, souvent un peu embarrassé de ses richesses, a rarement montré dans ses autres ouvrages la netteté et la précision dont il fait preuve ici. On y trouvera une explication éloquente et candide des principes qui l’ont dirigé, en même temps qu’un résumé rapide et substantiel des travaux analogues accomplis en Allemagne avant la création de la philologie comparée. C’est un immense travail qu’ont entrepris MM. Wilhelm et Jacob Grimm : le premier volume, le seul qui soit achevé, ne termine pas la lettre B ; mais nous n’avons pas besoin d’adresser aux auteurs une parole d’encouragement. Leur érudition est riche de trésors amassés, leur juvénile ardeur ne se lasse pas, et on peut affirmer que les deux illustres frères auront bientôt élevé un monument durable à la langue des nations germaniques.

Saint-René TAILLANDIER.


Svensk och Ryss[1] ! (Suédois et Russes). — S’il était besoin, outre les nombreux témoignages que nous avons invoqués dans la Revue, de démontrer par d’autres preuves encore que les sympathies en faveur de la France sont en Suède aussi nombreuses qu’elles l’ont jamais été, aussi nombreuses

  1. Un volume in-12, Stockholm 1835.