où il revendique contre Hegel le droit de l’individu et l’immortalité de la conscience. M. Weisse reprend donc la philosophie au point où elle semblait parvenue lorsque Hegel apparaissait aux esprits comme le créateur d’un système qui unissait la raison et la foi. Hegel n’a pas réalisé, on le sait trop, les sublimes espérances qu’il avait fait concevoir ; M. Weisse est-il mieux inspiré ? Il l’est très certainement si l’on considère, non pas l’éclat du génie, mais la justesse des intentions. Aucune trace de panthéisme dans le système qu’il expose, à moins que ce ne soit ce prétendu panthéisme que certains esprits aperçoivent partout, le panthéisme dont saint Paul et saint Jean sont remplis. L’homme est libre dans la doctrine de M. Weisse, et toutefois il dépend d’un pouvoir supérieur vers lequel l’emportent les aspirations de son amour. La religion n’est pas pour lui, comme chez Hegel, la conscience de sa propre divinité ; elle naît au contraire du sentiment de sa faiblesse, en même temps qu’elle atteste la dignité de son être. En un mot, nous ne sommes pas des dieux longtemps emprisonnés dans la matière et affranchis enfin après une captivité de six mille ans par l’audacieux philosophe de Berlin ; mais si l’esprit humain n’est pas dieu, ne croyez pas cependant qu’il soit privé, comme le veut de nos jours une théologie sceptique, de cette lumière céleste qui éclaire tout homme venant en ce monde ; il porte en lui la marque de la main qui l’a formé, et c’est en s’étudiant lui-même qu’il peut s’élever à la connaissance du divin maître et de ses attributs. L’étude de Dieu, l’étude métaphysique du Père, du Fils, du Saint-Esprit, l’étude psychologique, si je puis ainsi parler, de la bonté, de la justice et de la providence infinie, voilà le sujet de M. Christian Weisse dans ce premier volume ; le second s’attaquera à des problèmes plus périlleux encore : il essaiera une explication philosophique des dogmes fondamentaux du christianisme, le péché originel et la rédemption. Un livre qui traite de matières si hautes, qui discute les questions les plus ardues de la métaphysique et de la théologie, soulèvera sans doute plus d’une objection sérieuse. Quant à nous, sans entrer dans le fond des choses, nous lui reprocherons bien des défauts de mise en œuvre, bien des obscurités de style et un amas de dissertations abstruses. Il n’en est pas moins vrai que cette lecture élève l’âme et la transporte en des régions idéales dont la philosophie allemande avait perdu la voie. Quel qu’en puisse être le succès, nous félicitons l’auteur de cette audacieuse tentative ; il y a là, on ne peut le nier, un symptôme éclatant du retour à ce spiritualisme chrétien qui est en définitive le vrai génie de l’Allemagne.
C’est encore l’éditeur Hirzel qui publie un ouvrage d’un ordre bien différent, mais qui représente aussi avec éclat les plus glorieuses facultés du génie germanique ; je parle du Dictionnaire allemand de MM. Jacob et Wilhelm Grimm[1]. Ce grand ouvrage est le résumé de toutes les recherches qui occupent depuis quarante ans les deux infatigables philologues ; leur vie entière est là. On sait avec quelle patience, avec quelle sagacité lumineuse, M. Jacob Grimm et son frère ont scruté les antiquités du droit, de
- ↑ Deutsches Wörterbuch, von Jacob Grimm und Wilhelm Grimm. Premier vol. et neuf livraisons du deuxième vol ; Leipzig, chez Hirzel, 1854-1855.