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L’émigration allemande, qui se développe toujours dans de vastes proportions, est certes un élément sain et vigoureux pour les États-Unis ; elle porte au-delà de l’Océan des mœurs fortes et paisibles, des habitudes de travail. En compensation, les idées américaines sont-elles destinées à faire des progrès au-delà du Rhin ? et si elles faisaient des progrès, sont-elles de nature à favoriser la grandeur de l’Allemagne ? C’est peut-être le rêve de quelque imagination démocratique, rêve qui s’évanouit bien vite quand on le rapproche de la réalité, de tous les instincts, de toutes les traditions germaniques. Il n’est pas moins curieux d’observer ces affinités entre l’Allemagne de notre temps et la puissante république américaine, qui, pour dernière singularité, grandit chaque jour par le concours des Européens, et semble à chaque instant prendre l’attitude d’une ennemie de l’Europe.

C’est certainement l’une des plus graves questions politiques aujourd’hui que celle des complications survenues entre l’Angleterre et les États-Unis. Les relations entre ces deux grands pays, après s’être sensiblement refroidies dans ces derniers temps, finiront-elles par se rompre tout à fait ? Les querelles soutenues des deux côtés de l’Océan par la diplomatie et par la presse se changeront-elles en hostilités ouvertes ? Tous les faits par momens semblent conduire à ce résultat, quand tous les intérêts des deux pays et toutes les affinités de race se réunissent pour le rendre impossible. Dans les premières et courtes discussions du parlement anglais, il n’y a eu place, à vrai dire, que pour deux questions. La première est celle de la guerre avec la Russie et des négociations qui vont s’ouvrir ; la seconde a été celle des rapports de l’Angleterre avec les États-Unis. On sait du reste en quoi consistent les difficultés qui se sont élevées entre les cabinets de Londres et de Washington. Le gouvernement américain accuse l’Angleterre d’avoir violé les lois nationales des États-Unis en faisant des enrôlemens, et il fait peser la responsabilité de cette violation sur le ministre anglais en Amérique, M. Crampton, dont il réclame le rappel. L’autre difficulté a trait à l’interprétation du traité Clayton-Bulwer, relatif à l’Amérique centrale. Il s’agit de savoir si l’un des articles de ce traité, en vertu duquel les deux parties s’interdisent d’occuper ou de coloniser un point quelconque des républiques de Nicaragua, Honduras et Costa-Rica, s’applique aux possessions anciennes de la Grande-Bretagne sur les côtes de l’Amérique centrale. Le gouvernement américain soutient que l’Angleterre doit se retirer complètement de cette partie de l’Amérique. Le gouvernement anglais prétend au contraire que le traité s’applique uniquement à des acquisitions nouvelles et nullement aux droits et possessions qu’avait antérieurement l’Angleterre à Belize, sur la côte des Mosquitos et dans les îles de la Baie. Sur ces divers points, le président Pierce, dans son dernier message, a pris un ton assez haut vis-à-vis de l’Angleterre. Il dit d’une façon assez claire et assez menaçante que les États-Unis iront jusqu’au bout, s’ils n’obtiennent pas satisfaction pour la violation de leurs lois nationales et au sujet de l’interprétation du traité Clayton-Bulwer.

C’est ainsi que la question arrivait récemment devant le parlement anglais. Les explications des ministres, de lord Clarendon et de lord Palmerston, ont été, il faut le dire, empreintes d’une modération extrême. Quoiqu’ils