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il n’était plus temps. Les révolutionnaires français pouvaient faire honneur de leurs victoires à l’inextinguible amour de la liberté. La grande raison de ces victoires sans doute, ce fut, après l’héroïsme de nos soldats, la politique égoïste et impuissante de ces cours, qui songeaient avant tout à un intérêt étroit, qui rusaient entre elles, menaçaient sans agir, et ne laissaient à la France d’autre alternative qu’une lutte désespérée, en lui offrant le spectacle d’un royaume démembré et partagé. C’est avec pénétration et sûreté que M. van Dijk retrace cette série d’événemens, devenus le point de départ de l’histoire contemporaine.

L’un de ces événemens, le partage de la Pologne, garde sans doute un caractère général ineffaçable, et il a eu aussi une influence particulière sur l’Allemagne. Cette influence n’a point cessé ; elle réagit à chaque instant sur la politique ; elle communique aux gouvernemens une secrète faiblesse, car cette suppression d’un peuple, surtout d’un peuple de soldats, a privé les états germaniques du bouclier qu’ils avaient au nord. Aussi n’est-il pas surprenant que bien des historiens en Allemagne aient tourné leurs recherches vers ce triste épisode des annales du xviiie siècle, et ce n’est pas sans raison que dans ses Études contemporaines sur les pays germaniques et slaves M. Edouard Laboulaye commence par résumer tous les incidens, toutes les péripéties du premier partage, dont tous les autres n’ont été que la conséquence fatale. Chose curieuse et morale à observer, personne n’a songé à absoudre cet acte, dont Marie-Thérèse s’accusait elle-même en le signant ; il ne s’agit que de fixer ses résultats politiques et de démêler la part de responsabilité des divers auteurs de l’œuvre. Il y a, comme on sait, un système historique qui tend à rejeter sur Frédéric II la principale responsabilité du partage, et certes les témoignages accusateurs ne manquent pas contrôle roi philosophe : Seulement il reste toujours cette question : Frédéric fut-il dupe en étant complice ? Qui avait préparé la dissolution de la Pologne ? qui poursuivait cette œuvre avec un acharnement incroyable ? qui en a recueilli le plus grand profit ? Tandis que Catherine faisait avancer la Russie vers l’Occident, l’Allemagne se trouvait affaiblie. C’est ce que M. Laboulaye, après bien d’autres, met en relief dans ses Études. Ce n’est pas là d’ailleurs la seule question allemande que traite l’auteur. Il va librement de la politique à la philosophie. M. Laboulaye n’est point un historien de l’Allemagne contemporaine ; mais c’est un observateur des choses et des hommes, des idées et dès faits, qui analyse plus qu’il ne peint, qui juge plus qu’il ne raconte, et qui recueille enfin ses jugemens sur les publications diverses dont il a eu à s’occuper à mesure qu’elles se succédaient. C’est ainsi que de l’essai sur le partage de la Pologne, l’auteur passe à une étude sur la dernière révolution de Hongrie, pour aborder ensuite le système historique de M. de Savigny. L’esprit qui domine dans ces études est un esprit libéral et équitable, indulgent même parfois. Il est des faits presque inaperçus qui s’accomplissent au-delà du Rhin et que M. Laboulaye indique rapidement. L’un de ces faits est l’échange singulier qui s’opère chaque jour entre l’Allemagne et l’Amérique. Les pays germaniques envoient aux États-Unis leurs émigrans, qui vont chercher la fortune ou un foyer ; l’Amérique envoie en Allemagne ses idées républicaines. Quel augure peut-on tirer de tels faits ?