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rajusté, pour finir par être remis en équilibre tant bien que mal. L’Europe porte encore la marque de cette opération empirique. Le côté abstrait, organique ou purement intérieur de la révolution a été, surtout en France, l’objet de bien des études qui ne font que se multiplier de jour en jour. Il est plus rare qu’on se soit appliqué à caractériser nettement la partie extérieure de la révolution, le rôle des divers états de l’Europe, surtout ces premiers démêlés bientôt transformés en un duel gigantesque. C’est là ce que s’est proposé un écrivain hollandais, M. A. van Dijk, dans un livre de Considérations sur l’histoire de la révolution française depuis 1789 jusqu’en 1795. M. van Dijk n’est point un contre-révolutionnaire, comme il le dit peut-être un peu subtilement ; mais il est anti-révolutionnaire en ce sens qu’il incline visiblement vers la nécessité d’une réforme sensée, juste, devenue d’ailleurs irrésistible, et qui aurait pu être contenue dans de raisonnables limites sans un enchaînement de fatalités auxquelles l’Europe, par sa conduite, ne fut point étrangère.

C’est ici en effet la partie intéressante des Considérations de M. van Dijk. La vérité est que l’Europe contribua singulièrement à irriter la révolution française en se refusant à comprendre le sens des événemens qui se préparaient, en prêtant au roi Louis XVI un appui périlleux et inefficace, en portant dans ces premiers démêlés aussi peu de sagacité que de décision, surtout des vues étroites et égoïstes. Quel était l’état de l’Europe au moment où déjà se dessinait cette lutte ? L’Angleterre était indifférente encore, ne se sentant pas menacée dans sa puissance. La Russie était engagée dans sa guerre avec les Turcs, et elle ne voulait point se détourner de sa proie, ou si elle se détournait, c’était pour se rejeter sur la Pologne. L’Autriche sortait aussi d’une guerre avec la Turquie, et en se repliant du côté de l’Occident, elle songeait avant tout à sauvegarder ses provinces de Belgique. La Prusse, tout hostile qu’elle fût à la révolution, craignait de voir la prépondérance de l’Autriche sortir des conflits possibles. Les petits princes allemands déjà se voyaient avec effroi absorbés par les deux puissances allemandes rivales. C’est une histoire assez vieille et toujours nouvelle. De là un système plein de tergiversations, de duplicité et d’impuissance. Cette déclaration même de Pilnitz, dont les révolutionnaires de Paris avaient intérêt à exagérer l’importance, ne stipulait rien que de très éventuel et de très équivoque. La déclaration de Pilnitz n’était point une force pour les alliés, ni même un engagement sérieux ; elle ne faisait qu’enflammer l’instinct patriotique en France en le ralliant à la révolution. C’est ce que montre d’une façon lumineuse M. van Dijk. À l’heure des hostilités, l’Autriche et la Prusse engageaient la lutte sans esprit d’unité, avec des forces restreintes. Pourquoi cela ? Parce que la Prusse et l’Autriche gardaient une partie de leur armée du côté de la Pologne, sur laquelle Catherine ne dissimulait plus ses desseins, et qu’il y avait à revendiquer une part de butin. C’est là le nouveau partage que M. de Lamarck appelle « un acte de rapine et de vol, » en montrant les mêmes souverains d’accord pour dépouiller un roi inoffensif et se partager ses états, et coalisés en même temps pour rétablir un autre roi dans ses droits en proclamant des vues de modération. Lorsque fut nouée enfin la grande coalition de tous les états, sauf la Suède et le Danemark,