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songé à réclamer pour elles. Sur un seul point, il paraît s’être élevé quelques difficultés. La liberté des cultes comporte-t-elle pour les musulmans la faculté d’abjurer leur religion et d’embrasser le christianisme ? Aux yeux des représentans de l’Europe, cela n’est point douteux. Aux yeux des conseillers du sultan, la liberté ainsi entendue deviendrait la source des complications les plus sérieuses, peut-être le principe d’une révolution, en affaiblissant de plus en plus l’autorité du chef de la religion musulmane.

Au surplus, il est facile de l’observer, toutes les réformes justes, légitimes, adoptées en principe et inscrites dans un liatti-cheriff, n’acquerront leur pleine valeur qu’en devenant une sérieuse et bienfaisante réalité. Le premier intérêt de la Turquie est d’assurer ce résultat en cherchant une force nouvelle dans l’élévation morale, politique et matérielle de populations nombreuses, qu’une situation meilleure rendra moins hostiles. En réalité, c’est là une des conséquences inévitabes des événemens actuels. La guerre que la France et l’Angleterre ont entreprise aura produit un fait sans exemple jusqu’ici : c’est l’admission de l’empire ottoman dans le concert européen, ou, en d’autres termes, la garantie collective de l’Occident solennellement assurée à l’existence indépendante de la Porte ; mais pour que cette garantie devienne réelle et efficace, il faut invinciblement que la Turquie tende de plus en plus à se rapprocher de la civilisation occidentale. Si, en dehors de tous les arrangemens diplomatiques, les divers états européens sont liés entre eux par une certaine solidarité, c’est qu’à travers les différences de régimes, de formes politiques, de religion même, ils vivent d’un fonds commun d’idées, de sentimens et de principes ; ils reconnaissent le même droit, et là est la raison morale de ce qu’on nomme le concert des puissances. La garantie que l’Europe va offrir à la Porte ne sera sérieuse que si le gouvernement du sultan entre dans cette voie de progrès, et il peut y entrer en faisant de l’empire turc, non un mélange de maîtres et d’esclaves opprimés, mais une terre où puisse grandir une population chrétienne laborieuse et réconcihée par les bienfaits qu’elle recevra. De toutes les questions qui pourront occuper le congrès, celle-là est la plus grande assurément, et si la Russie, dans l’intérêt de sa politique, a si hautement revendiqué des immunités restreintes pour les chrétiens d’Orient, elle ne refusera pas sans doute son concours à des améliorations plus générales, plus étendues, dans l’intérêt de ces populations elles-mêmes.

Une sorte d’inquiétude restait encore, il y a quelque temps, au sujet des dispositions que l’Angleterre apporterait dans les négociations où vont se débattre tous ces problèmes de la politique contemporaine. Le langage de la presse de Londres n’avait pas peu servi à répandre des doutes dans le premier instant. Qu’y avait-il de vrai et de sérieux sous ces apparences obstinément belliqueuses ? Le parlement s’est ouvert. La reine a annoncé dans son discours que des négociations allaient commencer à Paris ; les ministres enfin ont exposé la situation dans les chambres, et, on peut le dire, la vérité des sentimens du peuple anglais s’est révélée sans feinte, sans détour. Oui, il est certain que la possibilité d’une paix immédiate a causé tout d’abord chez nos puissans alliés un moment de déception. Quelques-uns des hommes publics ne l’ont nullement caché. L’Angleterre a éprouvé comme un