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de Nessus et Déjanire qu’on placerait dans le jardin des Tuileries ? Ce serait une réparation équitable, éclatante, à laquelle tous les bons esprits applaudiraient.

La statue de François Ier, qui nous suggère ces réflexions, malgré tous les défauts que j’ai relevés, ne sera pas une œuvre inutile, si les hommes chargés de distribuer les travaux de sculpture se décident, après avoir recueilli les voix, à consulter le savoir plutôt que la popularité. Qu’ils essaient de pressentir ce que fût devenu le vainqueur de Marignan entre les mains d’un homme tel que Barye : au lieu d’une œuvre mesquine, sans élan, sans vérité, nous aurions une composition pleine de grandeur et de vie. Je n’abandonne pas les réserves que j’ai faites au sujet du programme : je persiste à croire qu’une statue équestre, quel que soit le nom du personnage, ne convient pas à la cour du Louvre ; mais si Barye eût été chargé de modeler la statue de François Ier, nous aurions du moins un vrai cavalier, un vrai cheval, et l’excellence de l’œuvre en atténuerait l’inopportunité. Le Charles VI, le général Bonaparte, malgré l’exiguité de leurs dimensions, ont montré tout ce que l’auteur peut faire, et nous savons d’ailleurs, par les deux lions des Tuileries, qu’en modelant une figure grande comme nature, il n’a rien à redouter.

La réparation que j’appelle de tous mes vœux, que je sollicite avec empressement, est-elle prochaine ? J’aime à le penser. Il faut effacer au plus tôt le souvenir du François Ier, qui tour à tour égaie ou étonne les passans. Le talent de Barye est aujourd’hui en pleine maturité : que l’administration le mette à profit. Il y a dans la vie de cet artiste, si longtemps méconnu, des épisodes qu’on a peine à croire vrais, et qui pourtant ne peuvent être contestés. Quand on réparait le Pont-Neuf, après en avoir abaissé le tablier, on a senti la nécessité de refaire les mascarons placés au-dessus des arches, et la moitié de cette besogne est échue à Barye. Que penser d’un tel choix ? À coup sûr celui qui s’en est avisé ne possède pas un esprit vulgaire. De la sculpture de genre à la sculpture d’ornement, il n’y a guère que l’épaisseur d’un cheveu ; c’est pour cela sans doute que l’auteur des deux lions placés au bas de la terrasse du bord de l’eau a été chargé de refaire une moitié des mascarons du Pont-Neuf. Aujourd’hui l’opinion publique, ou du moins celle de tous les hommes éclairés, le désigne pour les grands travaux. Puisqu’on n’a pas eu l’heureuse pensée de lui demander François Ier, qu’on lui confie, s’il en est temps encore, Louis XIV ou Napoléon ; qu’on lui fournisse l’occasion de montrer d’une manière décisive ce qu’il sait et ce qu’il sent, la profondeur de ses études, la richesse de son imagination ; que son œuvre soit librement soumise au contrôle de la foule et des connaisseurs, je veux dire placée assez près du regard pour ne pas exiger le secours d’une longuevue ; qu’on puisse en faire le tour et la contempler sans effort sous ses différens aspects. Le jour où mon vœu se réalisera, l’administration aura rendu à l’école française un éclatant service, et nous oublierons volontiers la statue de François Ier.

Gustave Planche.