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dont le nom commence aujourd’hui à devenir populaire, mais qui n’a pas encore été encouragé selon la mesure de son mérite. C’est à peine si quelques travaux lui ont été confiés, et ses débuts remontent à l’année 1831. Après une lutte soutenue sans relâche pendant vingt-cinq ans, le nom de Barye se fait enfin jour. On s’aperçoit qu’il possède un savoir profond, un talent souple et varié. C’est un peu tard sans doute, mais l’heure est venue de réparer les injustices du passé. Les hommes du métier savent ce que vaut Barye, le public ne le sait pas encore complètement. Bien des occasions ont été négligées dont cet artiste éminent aurait dignement profité. Quand il s’agissait de l’achèvement de l’arc de l’Étoile, les promesses ne lui ont pas manqué ; on lui a demandé des esquisses, et les promesses sont demeurées sans résultat. On a confié la Bataille de Jemmapes à M. Marochetti, la Bataille d’Ausrerlitz à M. Gechter, et Barye n’a rien obtenu dans la décoration de cet immense monument. Ceux qui connaissent l’histoire anecdotique des artistes contemporains se rappellent avec amertume toutes les intrigues ourdies pour l’ensevelir dans l’obscurité. Des hommes d’une habileté réelle, mais d’un caractère envieux, dont je veux taire le nom, ont abusé longtemps l’administration sur la valeur et la portée de ce talent, qui est dès à présent et qui sera pour la postérité un des plus grands, un des plus purs de l’école française. Pendant toute la durée du règne de Louis-Philippe, Barye a été considéré comme un sculpteur de genre. C’est à peine si quelques esprits clairvoyans et désintéressés se permettaient de le recommander à l’administration : on prenait leurs réclamations pour un engouement paradoxal. Aujourd’hui la vérité frappe les yeux les moins exercés, mais ce talent de premier ordre n’a pas encore trouvé son emploi. Le duc d’Orléans avait eu l’heureuse pensée de demander à Barye des groupes d’animaux qui sont aujourd’hui dispersés, et qui devraient figurer au musée du Luxembourg. Ces groupes ont appris aux plus ignorans, aux plus incrédules, que ce prétendu sculpteur de genre est capable des plus hardies conceptions, et que sa main obéit docilement à sa volonté. Les Chasses au tigre, les Chasses au lion destinées à récréer les yeux des convives du prince, auraient été pour les jeunes sculpteurs et pour les sculpteurs d’un âge mûr un sujet d’étude profitable, et pour ma part je regrette qu’elles soient dispersées. Puisqu’on ne peut effacer le passé, qu’on se hâte du moins d’employer pour la décoration de nos monumens ce talent si fin et si vrai, qui ne s’est pas encore révélé avec une entière liberté. Qu’on lui demande des statues et des bas-reliefs, qu’on lui permette d’exprimer sa pensée par le bronze et par le marbre, sans lui assigner les limites étroites qu’il n’a pu franchir jusqu’ici. Les statues équestres de Louis XIV et de Napoléon sont une excellente occasion. Personne mieux que lui ne pourra satisfaire aux conditions de ce double programme. Si ces deux figures sont déjà commandées, dans une ville comme Paris il ne sera pas difficile de trouver une occasion équivalente. Les Tuileries, les Champs-Elysées, le Luxembourg offrent un vaste champ, et nous n’avons de lui que deux lions dans nos promenades publiques. C’est aux Tuileries que devrait être placé le groupe du Lapithe et du Centaure, enfouis dans le musée du Puy. Pourquoi ne demanderait-on pas à l’auteur de cet admirable ouvrage un groupe