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Enfin ce pont-canal, s’il se faisait jamais porterait malheur au Caire, de même que le débouché à Peluse porterait malheur à Alexandrie. Sous le rapport des conséquences de l’exécution, les deux projets sont comparables, mais aucune comparaison n’est permise au point de vue théorique. Le projet du canal par le barrage a été une heureuse réaction contre le tracé direct et la coupure de l’isthme : restitution du canal des deux mers à Alexandrie, à l’Égypte et au Nil, conciliation des intérêts de la navigation européenne et de la prospérité agricole de l’Égypte, modification du régime du Nil pressentie dans la juxtaposition du canal et du barrage, tels sont les mérites de cette conception. Nous aurons à voir si la solidarité du barrage et du canal ne se réalise pas mieux à distance qu’à proximité, si l’un des deux autres modes d’application du système n’en fait pas mieux ressortir les avantages en supprimant les inconvéniens de ce premier mode. Il n’en faut pas moins reconnaître que la formule originelle du tracé indirect est issue de ce projet. Le principe restera ; c’est un service public.

L’opinion du pacha d’Égypte est maintenant expliquée. Le percement de l’isthme semble le projet vraiment égyptien en regard d’un projet qui fait du canal des deux mers une concurrence au Nil, une immixtion dans le barrage, une sorte d’entreprise contre le Caire, Entre les deux projets, le prince a opté pour le plus innocent en apparence, et il livre l’isthme à percer. Cette prudence ne pèche point par timidité ; le prince qui continue tout ce que le gouvernement de Méhémet-Ali eut de progressif et de civilisateur n’avait pas d’autre moyen de concilier le bien de ses états et le vœu de l’Europe. C’est un signe que le dernier mot de la question du tracé n’a pas été dit.

Ce dernier mot serait-il dans le deuxième mode de réalisation du tracé indirect, dans l’hypothèse du canal traversant la partie moyenne du Delta ? En se tenant sur les limites de cette zone et du littoral, il n’aurait point à léser le réseau central des canaux d’irrigation ; mais après ce qui a été dit, le vice de ce tracé est jugé. L’alimentation du canal absorberait les eaux utiles du fleuve. En outre, par suite de cette section mitoyenne, qui retrancherait en quelque sorte de l’Égypte la zone maritime où sont Damiette et Rosette, il attirerait à lui ce qui y reste de vie commerciale, et frapperait de mort une région déjà fort malheureuse. Les difficultés sont pareillement appréciées à l’avance. Ce sont les travaux que nécessiterait la traversée des deux grandes branches, à 40 ou 50 kilomètres en amont de Rosette et de Damiette, c’est-à-dire un barrage sur chaque branche, élevant le niveau du Nil de 4 mètres au moins ; travaux pénibles et coûteux, qu’on n’aborde pas sans une perspective d’avantages que ce tracé n’offre pas, à moins qu’on n’attachât une valeur extraordinaire à un raccourcissement d’environ 40 kilomètres sur les autres parcours