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composition pour une grande masse, et que les juges les plus difficiles lui rendraient justice dès que son œuvre serait placée dans la cour du Louvre. Aujourd’hui les promeneurs étrangers à toutes les questions techniques, éclairés par les seules lumières du bon sens, se demandent ce que signifie cette statue. Quant à ceux qui connaissent les monumens de l’art antique et ceux de l’art moderne, si je dois en juger par les voix que j’ai recueillies, ils n’hésiteraient pas à se prononcer. Toutefois les avis qui sont venus jusqu’à moi pourraient trouver des contradicteurs parmi ceux mêmes qui ont étudié l’histoire de la sculpture. Je n’entends pas affirmer dès aujourd’hui que mon opinion soit partagée par tous les hommes qui jouissent d’une autorité légitime.

Est-ce un guerrier, est-ce un Mécène que nous avons devant nous ? Si c’est un guerrier, pourquoi donc est-il coiffé d’une toque ? Si c’est un Mécène, un roi protecteur des arts, pourquoi donc est-il couvert d’une cuirasse ? Est-ce avec une toque, le front découvert, que François Ier affrontait les balles à Marignan ? Est-ce avec une cuirasse qu’il visitait, qu’il encourageait les travaux de Fontainebleau ? C’est à ces termes élémentaires que se réduit la question posée par le bon sens. Il fallait choisir entre l’homme de guerre et l’homme de goût. M. Clésinger a voulu tout concilier, et je crains fort qu’il n’ait contenté personne. Il n’y a qu’une manière d’exprimer franchement l’impression produite par son œuvre : le François Ier de la cour du Louvre appartient à l’Opéra-Comique par la toque, à Franconi par la cuirasse. Ces mots suffisent à caractériser la statue dont nous parlons. Ce n’est pas un guerrier, car au xvr siècle on n’allait pas au combat le visage découvert ; ce n’est pas un roi protecteur des arts, car, pour encourager la peinture et la sculpture, la cuirasse est au moins inutile. Un tel attirail de guerre serait embarrassant et ridicule dans l’ateher de Léonard de Vinci, de Primatice ou de Benvenuto Cellini.

De quelque côté en effet qu’on regarde cette statue, on n’aperçoit qu’une figure de théâtre. Qu’on pense au vainqueur de Marignan ou au roi protecteur des arts, on est également désappointé. Si, pour se préparer à l’indulgence, on veut bien oublier un instant le personnage qu’on a devant les yeux, on n’est guère plus satisfait. Le cavalier n’est pas en selle, il n’est pas campé de façon à gouverner son cheval. Je n’ai pas la prétention de me poser en homme du métier, je veux dire en écuyer ; mais il suffit d’avoir vu un dragon à cheval, manœuvrant au Champ-de-Mars, pour affirmer que le François Ier de M. Clésinger serait désarçonné au premier caprice de sa monture. La bouche du coursier ne sent pas la main qui le guide ; les cuisses du cavalier n’étreignent pas les côtes ; un bond jetterait à terre, en un clin d’œil, l’homme assez inexpérimenté pour se conduire avec une telle maladresse. Avec les pieds en dehors, comment imposer sa volonté ? Il n’y a pas un écolier de manège qui, après trois leçons, ne se comporte autrement. Parlerai-je de la pantomime de François Ier ? Elle est plus étrange encore que sa tenue à cheval. Le mouvement de son bras droit ne se comprend pas, à moins qu’on ne consente à voir dans le roi un des virtuoses du Cirque. Pourquoi étend-il la main ? Qui donc salue-t-il ? S’il tenait la bride entre ses dents, s’il gouvernait son cheval d’une étreinte puissante, s’il tenait le mous-