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à l’enseignement. Quelque jugement que l’on prononce sur François Ier, et je crois qu’il mérite plus d’un reproche, on ne peut s’étonner de voir son image dans la cour du Louvre, car sous son règne le Louvre a reçu de nombreux embellissemens. Que sous Henri II, sous Charles IX, les artistes les plus habiles de la renaissance aient travaillé activement à la décoration du nouveau palais, personne ne l’ignore ; mais le nom de Henri II n’est pas populaire, et celui de Charles IX est justement flétri. De quelque manière qu’on explique la Saint-Barthélémy, qu’on y voie une conspiration ourdie depuis longtemps, ou qu’on la traite comme un caprice sanguinaire, comme une fantaisie du pouvoir absolu, il n’y a pas un esprit sensé qui songe à la réhabiliter. Les petits vers qu’on attribue à Charles IX, rapprochés de cette épouvantable tragédie, ajoutent encore à l’horreur de son nom. Les bûchers allumés par François Ier sont moins connus que la bataille de Marignan et les travaux accomplis au château de Fontainebleau par les artistes italiens ; je pense donc que l’image du vainqueur de Marignan n’est pas déplacée dans la cour du Louvre. Malgré mon profond respect pour le témoignage de l’histoire, je ne crois pas qu’il faille proscrire sans pitié l’image de tous les rois qui n’ont pas laissé une mémoire pure et sans tache. Si le rival de Charles-Quint n’a pas fait pour la science, la littérature et les arts tout ce qu’il pouvait faire, nous savons cependant que les études ont accompli sous son règne d’éclatans progrès, et c’en est assez pour expliquer, pour légitimer sa présence dans un monument qu’il a enrichi.

Mais avant d’aborder la statue de M. Clésinger, je veux dire quelques mots d’une autre question : étant donné la figure de François Ier, fallait-il représenter le protecteur des arts ou le guerrier ? Le choix de l’emplacement ne devait-il pas déterminer le choix du costume ? C’est, je crois, la manière la plus simple de trancher la difficulté. Au Champ-de-Mars, près de l’École-Militaire, je comprends le guerrier ; au Louvre, je ne comprends que le protecteur des arts, car il faut que la figure soit en harmonie avec sa destination. Si le protecteur des arts convient seul au Louvre, si le guerrier n’a rien à démêler avec le palais splendide dont le ciseau de Jean Goujon a fait une école de sculpture, nous sommes amené à dire que la statue équestre doit faire place à une statue debout. Que signifie un cheval de bataille lorsqu’il s’agit de consacrer la mémoire des services rendus à l’imagination, au savoir, par François Ier ? Le costume de cour est le seul qui convienne. L’appareil militaire ne s’accorde pas avec la destination de la figure. Les considérations morales et les considérations purement techniques se réunissent pour recommander le parti que je propose. Si ce parti était adopté, l’architecture s’en accommoderait, et le penseur n’aurait rien à dire.

M. Clésinger paraît avoir négligé ou dédaigné toutes les considérations que je viens de présenter. Il a voulu faire un François Ier théâtral, et je dois avouer qu’il a pleinement réussi. Dans la réduction exposée par M. Barbedienne au palais de l’industrie, le défaut que je signale était déjà très sensible ; il est devenu plus manifeste encore dans le modèle que nous avons sous les yeux. Quand il s’agissait d’une statuette destinée à orner une cheminée, si les plus clairvoyans savaient à quoi s’en tenir, le plus grand nombre pouvait croire que le sculpteur avait ordonné l’économie de sa