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l’histoire par la série des affections démoniaques est à peine ébauché. On aperçoit parfois dans la campagne, surtout dans les lieux marécageux et où le pied ne peut se poser avec sûreté, des lueurs nocturnes qui frappent et attirent l’œil du voyageur attardé. Ces flammes ne brûlent pas, et, si on va sur la place, on ne voit pas qu’elles y aient marqué leur passage par la cendre et les charbons. Ces flammes n’illuminent pas, ne faisant que voltiger dans les ténèbres sans les dissiper : véritables feux-follets, suivant l’expression vulgaire, qui n’ont ni force ni chaleur. De même, comme autant de feux-follets se projettent dans les champs de l’histoire ces manifestations de démons, de mânes, d’esprits, d’agens surnaturels. Bien des fois elles y apparaissent pour disparaître bientôt, et, comme leur apparition n’éclaircit rien, rien non plus n’est obscurci par leur disparition. Leur lumière est maladive, et qui la suit dans ses mouvemens irréguliers ne fait que tourner et n’avance pas. D’ailleurs, malgré les promesses merveilleuses qu’elles prodiguent, malgré les immensités qu’elles semblent découvrir, leur impuissance finale demeure manifeste. Tout dans l’histoire chemine comme si elles n’existaient pas. Elles tiennent la baguette des fées, et cette baguette ne produit pas d’œuvres dans leurs mains. Elles commandent aux pouvoirs occultes des choses, et les choses suivent une direction propre et assujettie à de tout autres conditions. En un mot, dans l’histoire ces manifestations se montrent semblables à ce dormeur de Virgile qui dans son rêve veut en vain s’élancer et courir : il s’affaisse au milieu de ses efforts, sa langue n’obéit pas, ses forces le trahissent, et de sa bouche qui se refuse à le servir il ne sort ni parole ni voix.

Ac velut in somnis, oculos ubi languida pressit
Nocte quies, nequidquam avidos extendere cursus
Velle videmur, et in mediis conatibus ægri
Succidimus, non lingua valet, non corpore notæ
Sufficiunt vires, nec vox aut verba sequuntur.

La théorie spontanée (il faut ici allier ces deux mots), servant à lier et à représenter pour l’esprit les phénomènes dont il s’agit, est indiquée par l’histoire : l’agence surnaturelle, qui d’ailleurs était admise partout, les déterminait aussi. Sans doute il n’y avait dans cette théorie rien qui répugnât soit aux faits, soit à la raison : aux faits, l’intervention des démons ou des âmes en rendait compte ; à la raison, cette intervention lui semblait bien autrement plausible que ne lui aurait semblé l’action de causes naturelles qui alors n’avaient aucune vertu d’explication. Les choses étaient ainsi avant toute expérience et quand l’esprit était à l’égard de ces phénomènes ce que