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l’ouïe, et mainte fois, tout prévenu qu’il était, il lui arriva de quitter une occupation pour répondre à une voix qui l’appelait, et qui pourtant n’avait d’autre siège que son nerf acoustique. Mais souvent l’intelligence ne demeure pas ainsi spectatrice vigilante des fausses sensations qui l’assaillent. Ou bien elle finit par se laisser séduire, et, tout en conservant sa rectitude en autre chose, ces fausses sensations sont tellement intenses et lui deviennent tellement plausibles, qu’elles prennent la place des sensations réelles : dès-lors le monde a changé de face, et tandis que la masse continue à entendre et voir ce qui se voit et s’entend, quelques-uns voient et entendent ce qui ne se voit pas et ne s’entend pas. Ou bien l’intelligence elle-même prend part au désordre, et à la série des phénomènes hallucinatoires se joignent diverses séries d’autres phénomènes, suivant le genre de désordres qui surgissent.

Parmi les formes diverses que revêt l’hallucination, une mérite d’être signalée à cause de l’importance qu’elle prend par momens : c’est l’hallucination collective. L’hallucination, au lieu de se borner à frapper des individus, en peut frapper simultanément un grand nombre, et, au lieu de leur suggérer des sensations différentes, les soumettre à un même groupe de sensations. Ce qui en fait le caractère, ce n’est pas tant d’atteindre à la fois beaucoup de personnes que de faire naître dans leur esprit des aperceptions de même genre et d’imprimer à leurs visions une certaine uniformité. On ne peut en rappeler aucun exemple plus remarquable que celui de la sorcellerie : dans ce vaste et long phénomène qui a occupé tant de pays et tant de siècles, les formes fondamentales se reproduisaient toujours ; le sorcier, la sorcière étaient transportés au sabbat, et là voyaient le diable, lui parlaient, le touchaient ; nul n’échappait à ce genre de vision qui était déterminé par le concours de la lésion mentale avec la prédominance d’un ordre d’idées alors familières à tous les esprits. La maladie, bien qu’elle soit un trouble de l’arrangement naturel et régulier, n’est pourtant aucunement arbitraire ; elle aussi est soumise à des règles qui imposent des limites au désordre et déterminent les nouvelles associations ; elle dépend de la cause qui la produit et des élémens vivans qu’elle atteint. De même l’hallucination se subordonne à des conditions qui lui impriment leur cachet ; oscillant entre des écartemens qui ne sont pas illimités, elle dépend, elle, du sens qu’elle affecte et du milieu où elle naît : du sens, ce sont des voix, des sons qu’on entend, des formes, des lumières, qu’on voit, des odeurs qu’on perçoit, etc. ; du milieu, ce sont des opinions générales et puissantes qui en déterminent le caractère et donnent corps et vie à ces impressions. Ayant reçu ainsi naissance et accroissement, l’hallucination devient un événement historique