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Il arrive néanmoins un temps où la tranquillité relative entre la magie et l’autorité reçoit une profonde atteinte, où la paix est rompue et où la persécution commence contre les magiciens. Ce fut quand le mot démon changea de signification. Dans la religion des gentils, les démons étaient des génies, des divinités qui planaient au-dessus de l’existence humaine, sans avoir en eux rien de nécessairement funeste ; mais quand les démons furent les anges rebelles, les ennemis de Dieu, les auteurs du mal, les tentateurs de l’homme, les inspirateurs des noirs forfaits, les contempteurs de tout bien, alors on s’inquiéta de ceux qui prétendaient fréquenter habituellement une aussi redoutable, une aussi mauvaise compagnie. Ajoutez que l’imagination se peignait ces diables, qui erraient volontiers parmi nos demeures, d’une façon fantastique, aussi repoussante que ridicule, qui signifiait la dépravation morale de leur nature et celle de leurs sectateurs ; ajoutez qu’elle leur attribuait un pouvoir mal défini, il est vrai, et mal compatible avec l’ordre des choses divines et humaines, mais en tout cas un pouvoir supérieur, et disposant des élémens. Ajoutez enfin que beaucoup de sorciers étaient des gens d’esprit malade et halluciné qui confessaient être allés au sabbat et y avoir commis et vu commettre les plus grandes horreurs. Dans cette situation, où était le recours qui pouvait sauver les sorciers des mains d’une justice impitoyable ? Ne fallait-il pas à tout prix interrompre ces liaisons coupables entre la terre et l’enfer, et retrancher de la société ces hommes qui n’avaient plus d’autre société que les esprits pervers et immondes ? Et quand même tout familier du démon n’eût pas été par cela seul criminel, ces gens n’avouaient-ils pas s’être associés à des pratiques sans nom et à des actions atroces ? On ne peut le méconnaître, la justice humaine était sur une de ces pentes où ce qu’elle croyait sûr et vrai la poussait irrésistiblement, et l’on vit s’allumer de toutes parts les bûchers dont la flamme lugubre se projette sur la fin du moyen âge.

Mais de ce que l’autorité, dans l’antiquité, ne se croyait pas tenue à supprimer la sorcellerie, et de ce qu’elle s’y croyait tenue dans l’âge qui suivit, est-ce que je voudrais conclure que historiquement la première est supérieure à la seconde ? Pas le moins du monde. Je suis de ceux qui pensent et qui soutiennent que, tout compensé, la période qu’on appelle moyen âge est une évolution au-delà de la période gréco-romaine, non pas aussi régulière que si l’empire romain était tombé par ses propres élémens et non par l’intervention des Barbares, mais enfin une évolution qui, en fait, est la fille de celle qui précède et la mère de celle qui suit, ou âge moderne. L’histoire est un long développement de mutations enchaînées l’une à l’autre qui, ayant pour instrument un agent intelligent, le genre humain,