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était venu d’Arménie vers lui, amenant des mages et refusant d’aller par mer, vu qu’il regardait comme défendu de souiller la mer par des expuitions et autres excrétions. Pourtant rien n’y fit, et Néron, qui donnait à Tiridate le royaume d’Arménie, ne put recevoir de lui en retour le domaine de la magie et l’empire sur la nature souterraine et les mânes ensevelis. Pour expliquer cet insuccès, il faut penser que Néron était de nature peu nerveuse, et que les épreuves auxquelles le mage arménien le soumit furent incapables de développer en lui les sensations, les hallucinations qui persuadent souvent aux adeptes qu’ils ont été définitivement initiés.

Le grammairien Apion, que Pline vit dans sa jeunesse, disait dans un de ses ouvrages avoir évoqué des ombres pour interroger Homère sur sa patrie et sur ses parens ; mais il ne parait pas que la réponse ait été plus satisfaisante que celles de tant de tables parlantes ou d’esprits frappeurs qui n’apprennent jamais rien aux interrogateurs ; toujours est-il qu’Apion n’en sut pas plus après avoir causé avec les ombres qu’il n’en savait auparavant sur cette question tant controversée de la patrie du grand poète placé à l’aurore de la civilisation hellénique. Il y avait à Rome, sous les premiers empereurs, une illustre maison du nom d’Aspernas ; de deux frères de cette maison qui vivaient du temps de Pline, l’un s’était guéri de la colique en mangeant une alouette et en portant le cœur de cet oiseau renfermé dans un bracelet d’or, l’autre par un certain sacrifice fait dans une chapelle de briques crues, en forme de fourneau, et qui fut murée après l’accomplissement de la cérémonie. La magie florissait alors, on le voit, sous toutes les formes, et les tables tournantes, si tant est qu’on ne les connût pas (car M. Chevreul a déterré un texte ancien, obscur il est vrai, mais qui semble bien les indiquer), les tables tournantes, dis-je, n’auraient pas produit au milieu de cette société l’effet qu’elles ont produit parmi nous. Macbeth, venant à ouïr les lamentations des femmes, s’écrie : « Le temps a été où mes sens se seraient glacés à entendre un gémissement la nuit, où ma chevelure, à quelque récit effrayant, se serait soulevée comme si la vie y était ; mais je suis rassasié d’horreurs. » Nous, nous étions comme le Macbeth jeune et avant le temps des sorcières ; le moindre prodige nous émeut. L’antiquité était comme le Macbeth endurci et familiarisé, et je doute fort que nos tables et nos esprits eussent paru grand’chose à des gens qui pouvaient évoquer la triple Hécate, troubler le sommeil de la mort, et faire descendre la lune du haut du firmament.

Pourtant le sort fait à la magie, à la sorcellerie dans l’antiquité, était bien différent de ce qu’il fut dans le moyen âge et surtout à la sortie du moyen âge, aux XVe et XVIe siècles. Les anciens n’exerçaient