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de la bande, l’homme à convictions fortes et à argumens ingénieux, l’intelligence dépourvue de talent qui se trouve plus ou moins dans toute école d’art, et dont les préceptes sont souvent admirables, si à tout instant ils ne couraient risque d’être compromis par l’exemple du précepteur. Je ne me chargerai point d’examiner jusqu’à quel point ce que produisait de temps en temps Leigh Hunt mettait Shelley en garde contre ce qu’il prêchait. Un jour pourtant l’artiste voulut s’essayer à une forme nouvelle, et il cisela un des plus charmans bijoux de l’écrin poétique de l’Angleterre, Julian and Maddalo. Aussi est-ce à Leigh Hunt qu’il l’envoie, en le priant de le faire publier sans nom d’auteur. « Deux des personnages, dit-il dans sa lettre d’envoi, seront reconnus par vous tout de suite ; le troisième est également un portrait : seulement ce qui l’entoure, les accessoires de temps et de lieu, tout cela est idéal. Vous trouverez, je pense, ce petit poème conforme à vos notions sur ce que le style poétique doit être. J’y ai mis une certaine familiarité d’idiome, afin de reproduire le langage usuel dont se servent en parlant les gens placés par l’éducation et le raffinement de sentiment au-dessus du vulgaire. De ce dernier mot, je me sers dans son sens le plus étendu ; la trivialité des classes supérieures, des gens de la fashion, est aussi choquante que celle du peuple, et son argot exprime autant les conceptions les plus impropres à la poésie. Encore ne suis-je pas sûr que le style familier puisse convenir à un sujet dont l’élévation et la passion, dépassant certaines formes, touchent aux limites de l’idéal. La vraie et forte passion s’exprime naturellement par métaphores, prend ses images partout, mais couvre tout du voile de sa grandeur. »

Sous ce rapport, le Julian and Maddalo de Shelley est un petit chef-d’œuvre qu’il suffirait de traduire en entier pour montrer combien tout le monde en a fait son profit. Rien de plus simple que la donnée, qui n’est autre chose qu’une visite faite par Byron et Shelley à un malheureux enfermé dans l’hospice des aliénés, près de Venise ; mais aussi quelle élévation de sentiment, quelle finesse de touche, et comme les souffrances de cet infortuné sont délicatement et presque tendrement indiquées, au lieu d’être brutalement cataloguées, comme c’est de mode aujourd’hui ! Comme tout cela est vrai en même temps que réel !

Sur la cause de cette folie, dont les divagations éloquentes écoutées par les deux amis sont presque tout le poème, nous ne sommes pas très exactement renseignés. « D’où vient qu’il est fou ? demande Julian. — Je ne le sais, hélas ! répond Maddalo. Une dame vint ici avec lui de France ; puis, lorsqu’elle le quitta, il se prit à errer vaguement sur ces îles désertes des lagunes. Il n’avait ni terres, ni écus. La police le saisit et l’enferma parmi les fous. Dieu sait quelle