à vingt ans compris cela, et d’avoir si dignement senti comment on peut voir se dissiper son rêve, et comment on doit supporter le réveil :
« Tout ne s’écroule pas avec l’amour !
« Sois le bienvenu, ô travail, antique associé de l’homme ! Comment ! Devrai-je donc périr, échouer ainsi en vue de mes années futures, inabordées ? Non ! je dois lutter, même cette douleur se peut vaincre.
« De leurs tombeaux, les grands morts me tendent la main et m’encouragent au combat ; le cœur de Shakspeare bat à l’encontre du mien, Platon me parle en ami, la philosophie remplit la vie.
« Et cependant, avant que la feuille ne soit tournée, les vérités qu’elle enseignait s’amoindrissent.
« Mesuré à mon chagrin, que Shakspeare lui-même est petit ! que Platon sait peu consoler ! La douleur leur est supérieure à tous ! »
Il y a dans ces aspirations vers l’idéal une noblesse, dans la défaillance qui les suit un naturel, et dans le courage comme dans le désespoir une sincérité qui sont, si je ne me trompe, des qualités peu communes aujourd’hui. Je conçois que la critique en Angleterre ait pu saluer en M. Lytton un « vrai poète. »
Maintenant est-ce à dire que ce que M. Lytton nomme lui-même ses « années futures inabordées » doive nécessairement être consacré au culte de l’art poétique ? Et doit-on voir dans son remarquable volume de vers ce que l’on est convenu d’appeler une promesse d’excellence à venir ? J’éprouverais quelque embarras à le dire. Et d’ailleurs pourquoi, sous prétexte qu’un homme est jeune, pourquoi vouloir absolument que l’œuvre où il se manifeste pour la première fois ne soit qu’une promesse, qu’une sorte d’ombre projetée par le talent futur que vous lui supposez, qu’un gage de ce qui n’est pas encore et peut n’être jamais ? À vingt ans, l’intelligence et l’âme sont complètes dans leur jeunesse, comme plus tôt elles le sont dans l’enfance, et plus tard dans la maturité. C’est folie de croire que toujours le développement intellectuel dépende de la progression du temps. Telle nature livre au printemps toutes les richesses qui chez telle autre attendent pour mûrir que le soleil d’automne ait lui. Que d’arbres dont la fleur seule vaut quelque chose ! Et que dirait-on du jardinier qui ne verrait dans une rose que la promesse de cette baie insignifiante qui pourtant est très véritablement le fruit de la plante ? Non, il vaut mieux prendre chaque œuvre pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle semble présager ; de cette façon aussi on évite bien des déceptions. Nous en avons devant nous la preuve, car en lisant Maud par exemple, que doivent conclure aujourd’hui ceux qui, dans les premiers ouvrages de Tennyson, voyaient surtout la promesse de fruits splendides ? Mais parce que chez