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distance cependant de l’une à l’autre, et personne, je pense, ne s’imaginera que je veuille mettre au même rang la vierge romaine outragée et la criminelle sœur d’Hélène. J’indique seulement le procédé employé par ceux qui, dans le domaine de l’art, s’attachent à de pareilles héroïnes, et, suivant leur développement psychologique pas à pas, cherchent la raison d’être de ce qui les met à part dans la famille humaine, tentent de saisir le point délicat où la transformation s’opère, où ce qui n’était qu’énergie devient violence, où l’idée du juste se trouble, et où d’une perturbation morale et intellectuelle sort le crime.

Si je pouvais m’arrêter à chacun des morceaux qui, dans le volume de M. Lytton, me semblent appeler une attention sérieuse, je signalerais the Earl’s return et a Soul’s loss. La pièce intitulée la Perte d’une Ame intéresse en ce qu’elle contient indirectement une sorte de profession de foi du poète à l’égard de l’amour. On sait ce qu’a produit l’école de Byron en pareille matière, et à qui nous devons tant de héros et d’héroïnes commençant par le romanesque et finissant par le cynisme. Tout ce chapitre interminable des prétendues « désillusions » du cœur, nous ne savons que trop qui en a écrit les premières pages, et ce n’est pas, à mon avis, un des moindres mérites de la phalange anglo-saxonne que d’avoir, à la suite de Shelley, de Wordsworth et de Coleridge, mis en déroute toute cette bande de recrues du sentimentalisme, et cherché à rendre le sérieux de sa puissance à cette noble passion qui ne peut choisir une âme humaine pour sa demeure sans qu’à l’instant cette âme ne s’ouvre à la poésie et au sentiment du vrai. Dans la vie de l’homme, c’est de l’amour surtout qu’on peut dire qu’il n’est ni rien ni tout, et le malheur veut que ceux qui au début de l’existence s’imaginent que l’amour est tout arrivent d’ordinaire à la fin en croyant que l’amour n’est rien.

A Soul’s loss décrit une situation assez fréquente de nos jours, une phase assez familière de notre malaise psychologique : cet état de l’âme chez l’homme supérieur qui aime au-dessous de lui, et qui n’a pas été trompé, mais qui s’est trompé ; vraie passion celle-là, souffrance sublime qui, pour avoir été devinée, il y a deux siècles, par Molière dans son Alceste, n’en est pas moins vraie aujourd’hui, et n’en demeure pas moins la source cachée, mais féconde, de l’inépuisable indulgence des grands cœurs et des intelligences hautes. Avoir une seule fois compris l’incapacité d’élévation d’une âme qu’on croyait sœur de la sienne, quelle leçon ! Et quelle pitié profonde doit s’unir à la tristesse de celui qui vient de reconnaître qu’en amour la plupart du temps l’âme n’est qu’éprise de ce qu’il y a de beau et de poétique en elle-même ! Je sais gré à M. Lytton d’avoir