Il y a presque autant de danger que de difficulté à vouloir reproduire ces grandes figures dont la passion explique, si elle n’excuse pas les crimes. Trop frappé par le forfait seul qui semble les isoler de leur espèce, on les juge trop sévèrement ; trop attiré à suivre les motifs qui les ont graduellement amenées à l’acte irrévocable, on use facilement de trop d’indulgence à leur égard. M. Lytton a su éviter ce double écueil dans sa Clytemnestre, poème dramatique où se reconnaît le profond, sentiment de la vérité antique. Tout en suivant Eschyle quant à la manière dont Agamemnon périt, enlacé par la reine dans un filet qu’elle étend sur son bain, le poète anglais a suivi la tradition de Sophocle quant à l’un des principaux motifs du meurtre : il représente Clytemnestre avide de se venger du sacrifice d’Iphigénie. Sans chercher à défendre l’épouse coupable et sans vouloir atténuer son crime en lui-même, M. Lytton a réussi à entourer d’une certaine grandeur, presque d’un certain intérêt, cette mère implacable, cette amante passionnée, qui, en commettant un meurtre qu’elle croit commandé par le destin, ne voit que celui pour qui elle a tout oublié. La scène qui suit le meurtre et termine le poème a une hardiesse qui plaît. Au moment où Electre vient d’accabler Égisthe de ses injures et de son mépris, au moment où le peuple, s’associant à sa douleur, commence à murmurer, les portes du palais d’Agamemnon s’ouvrent, et l’on voit Clytemnestre, sombre et calme, debout près du cadavre du roi des rois. « Peuple d’Argos, dit-elle, voyez l’homme qui fut votre roi ! »
« LE CHŒUR. — Mort ! mort !
M CLYTEMNESTRE. — La destinée seule l’a frappé.
« LE CHŒUR. — Mort ! mort ! hélas ! Regardez-le donc étendu ! cette tête si noble couchée si bas !
« CLYTEMNESTRE. — Lui, le sacrificateur des femmes, voyez-le sacrifié lui-même par une femme ! C’est la justice suprême qui en appelle à vous !
« LE CHŒUR. — Hélas ! hélas ! où trouver des paroles pour cette douleur ?
« CLYTEMNESTRE. — Nous ne sommes que les instrumens des dieux. Notre œuvre ne provient pas de nous-mêmes, mais du destin. Un dieu prend l’éclair et le dirige, il frappe et tue, et passe outre, pur en lui-même comme au moment où il jaillit du sein lumineux de l’Olympe. Dans ce cœur, les torts du passé sont ensevelis. Je suis vengée, et je pardonne. Qu’on l’honore, lui ; c’est toujours un roi, quoique tombé.
« LE CHŒUR. — Comme sur le crime elle pose le diadème de la vertu ! se tenant là, austère, comme l’arbitre du destin ! Non, nul acte, quel qu’il fût, ne pourrait la réduire à n’être pas grande. »
L’unité du caractère de Clytemnestre, M. Lytton l’a trouvée dans l’orgueil souverain joint à la passion, comme Shelley, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, a découvert celle du caractère de Béatrix Cenci dans la chasteté et le respect de son nom. Il y a une grande