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Ces païens aux cheveux tressés, contempteurs de Dieu et des saints, ce peuple d’Attila avec son ring royal inépuisable en trésors, eurent longtemps le privilège de défrayer les conversations du peuple et des soldats. Ceux qui en revenaient ne se faisaient pas faute de récits incroyables sur ce sauvage et lointain pays, sur ces remparts de haies qu’il fallait franchir à chaque pas, sur les mœurs étranges et la férocité des habitans. On exagérait à qui mieux mieux les dangers de l’attaque et l’opiniâtreté de la défense, et il devint de mode de placer les Huns à côté des Saxons et au-dessus de tous les autres barbares que les Franks avaient combattus. Le moine de Saint-Gall, sur la foi de son père nourricier, le soldat Adalbert, qui avait servi en Hunnie à la suite du comte Gérold, introduit dans ses récits l’anecdote d’un brave des bords de la Dordogne donnant son avis sur la valeur des différentes nations qui ont eu affaire à lui. Ce brave, qui est un type achevé du Gascon moderne, et dont les faits d’armes, à l’en croire, sont toujours prodigieux, racontait que dans les guerres de Hunnie il fauchait les Avars comme foin avec sa grande épée. « Il paraît, lui dit malignement son interlocuteur, que les Vendes vous ont donné plus de soucis. — Les Vendes, ces mauvaises grenouilles ! répliqua l’enfant de l’Aquitaine, je les enfilais par cinq, six et quelquefois huit dans le bois de ma lance, et je les emportais sur mon épaule malgré leurs cris. » Cette burlesque fanfaronnade fait voir du moins quelle différence mettait l’opinion commune entre la bravoure des Avars et celle des Slaves.

Un écrivain plus grave, Eginhard, l’ami, le secrétaire, l’historien de Charlemagne, résume dans les termes suivans les conséquences de la guerre de Hunnie. « Elle fut conduite, dit-il, avec la plus grande habileté et la plus grande vigueur, et dura pourtant huit années. La Pannonie, aujourd’hui vide d’habitans, et la demeure royale rasée à ce point qu’il n’en reste plus vestige, témoignent du nombre des combats livrés et de la quantité de sang qu’on y versa. La noblesse des Huns y tomba tout entière, leur gloire y périt, leurs trésors accumulés pendant une longue suite de siècles y furent pris et dispersés. On n’aurait pas à citer une seule expédition où les Franks se soient plus enrichis, car on pourrait dire qu’auparavant ils étaient pauvres ; mais ils trouvèrent dans le palais des kha-kans tant d’argent et d’or, ils recueillirent sur les champs de bataille tant de riches dépouilles, que l’on peut conclure à bon droit ceci, que les Franks très justement ont reconquis sur les Huns ce que ceux-ci très injustement avaient ravi au reste du monde. »


AMEDEE THIERRY.