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de l’Elis, s’élevait alors une ville que les actes désignent sous le nom latin de Laureacum. C’était une des places fortes du pays, protégée qu’elle était au nord par le Danube, à l’est par l’Eus, à l’ouest et au sud par le lit et les marais du Lorch. Rupert, comme un commandant d’armée, en lit le quartier-général de sa prédication, qu’il étendit chez les Vendes-Carinthiens, franchissant courageusement le Hartberg, c’est-à-dire la Dure-Montagne, pour pénétrer dans les retraites sauvages des Slaves. Il y trouva, à ce qu’il paraît, des esprits soumis et sincères, et après avoir vu, pour prix de ses travaux apostoliques, des églises se construire en grand nombre, et des monastères se fonder, il se retira à Passau, laissant des clercs ordonnés par ses mains poursuivre et perfectionner son ouvrage.

Ses leçons toutefois n’avaient point fructifié dans l’esprit rétif des Avars : non-seulement le paganisme persista généralement parmi eux, mais, à l’incitation de leurs sorciers, ils se prirent d’une haine féroce contre tout ce qui rappelait la mission de leur apôtre Rupert. En 736, s’étant jetés sur la ville de Laureacum, ils y dévastèrent particulièrement les lieux saints, et l’évêque et ses prêtres auraient été tous égorgés, s’ils n’avaient réussi à sortir de la place, emportant dans leur fuite les ornemens et les vases sacrés des églises. La colère des Avars, trompés dans leur cruauté, se déchargea sur les monumens eux-mêmes ; tout fut incendié et détruit, églises, maisons, murailles, à tel point que plus d’un siècle après on hésitait sur l’emplacement qu’avait occupé cette ville infortunée. On croyait en retrouver la trace aux ruines d’une basilique dédiée à saint Laurent, dont Rupert avait fait la métropole de sa mission : fragile citadelle d’un établissement si vite disparu. Les Bavarois répondirent à l’attaque des Huns par d’autres attaques. Ceux-ci réclamaient l’Ens pour leur limite occidentale au midi du Danube ; les Bavarois voulaient la reporter plus loin : cette limite fut prise et reprise dix fois en vingt ans, et le fleuve incessamment rougi de sang humain. L’avantage demeura enfin aux Bavarois. Repoussés jusqu’au défilé qui couvre la ville de Vienne du côté de l’ouest, les Huns reçurent pour frontière le mont Comagène et ce rameau détaché des Alpes styriennes qui s’appelle aujourd’hui Kalenberg et qui s’appelait alors Cettius. Ils eurent beau revendiquer de temps à autre ce qu’ils regardaient comme leur vraie limite ; les armes bavaroises, fortifiées de l’autorité de la France, surent les contenir au-delà, et le mont Comagène, poste avancé de la Hunnie du côté des populations teutoniques, reçut en langue germaine le nom de Chunberg, qui signifiait montagne des Huns.

Tandis que les Avars se retrempaient dans ces luttes contre un peuple belliqueux et recouvraient peu à peu leur ancienne énergie, une grande révolution venait de s’opérer dans l’empire gallo-frank. La race de Mérovée, descendue du trône par degrés, était allée finir