chrétien. Elle voulait savoir si cette cérémonie était nécessaire pour leur assurer, à elle et à son époux, l’entrée du paradis des chrétiens, objet de tous ses vœux.
Assez troublée par cette ouverture, j’appelai à mon secours la lumière divine. Ce n’était pas, en vérité, la crainte du ridicule qui m’empêchait de verser sur ces deux fronts l’eau régénératrice du baptême, mais je n’étais pas bien convaincue que la scène dont j’étais l’un des acteurs fût parfaitement sérieuse. J’aurais baptisé Emina en toute sûreté de conscience, si le bey ne m’eût semblé un singulier néophyte ; or j’étais persuadée qu’elle n’accepterait pas un gage de salut dont son époux ne pourrait réclamer sa part. Je donnai donc à Emina quelques explications sur l’efficacité qu’a chez l’homme le désir sincère d’être lavé de toutes ses fautes, originelles ou acquises, désir qui équivaut à un baptême de fait, et qui suffit aussi bien que le martyre pour ouvrir les portes du ciel. Mes paroles causèrent une satisfaction visible à la pauvre Emina, qui avait craint jusque-là de ne pouvoir conserver ses espérances sans accomplir quelque acte éclatant dont les suites eussent pu mettre en péril la personne ou les propriétés d’Hamid-Bey. Toutes ses inquiétudes avaient maintenant disparu ; elle était calme et souriante.
Je passai deux jours auprès d’Emina et de son mari. J’eus encore avec ce dernier plusieurs conversations à moitié sentimentales et à moitié banales, dans lesquelles je retrouvai constamment le Turc ou l’œuvre d’une fausse civilisation aux prises avec l’homme de la nature. Hamid était fort irrité contre Ansha, quoiqu’il ne le lui témoignât pas ; mais, seul avec moi, il se laissait aller à la maudire avec un abandon plein de naturel. — Ansha n’est pas la seule à blâmer dans tout ceci, lui dis-je un jour, ce sont vos lois sur le mariage qui sont la vraie cause du mal. Quand vous n’épousez que des femmes de la trempe d’Ansha, elles s’exècrent réciproquement, se font l’une à l’autre tout le mal qu’elles peuvent, elles font semblant de vous adorer à l’envi, tandis qu’au fond de leur cœur elles vous détestent plus encore qu’elles ne détestent leurs rivales ; mais vous ne vous doutez de rien, vous êtes trompés toujours et par chacune, et personne n’en meurt. Au contraire, si par hasard vous introduisez dans l’enfer de la famille une nature sensible, naïve, aimante comme Emina, qui prend au sérieux son titre et son rôle d’épouse, et qui veut être aimée sérieusement, aimée comme elle aime enfin, cette enfant devient nécessairement le but de toutes les haines, de toutes les jalousies, et cela ne fût-il pas, elle n’en serait pas plus heureuse après tout, car elle ne saurait obtenir l’amour dont elle a besoin pour vivre. Ne rejetez donc pas tout le blâme sur Ansha, et si vous me permettez de vous donner un conseil, je vous dirai de ne pas recom-