Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
NOUVEAU TRACÉ POUR LE CANAL DE SUEZ.

dépressions que le sol de l’isthme offre du sud au nord, convaincu d’ailleurs que le niveau de la Mer-Rouge en marée haute excédait celui de la Méditerranée d’environ dix mètres, il admit l’existence collatérale d’un canal de grande navigation. Il en marqua la voie : du seuil de Suez aux lacs amers, vaste bassin propre à un réservoir ; des lacs amers au centre de l’isthme, et de là, par le bord oriental du lac Menzaleh, au golfe de Peluse. C’est le projet même dont MM. Linant et Mougel ont étudié les détails ; ce qu’ils y ont ajouté, c’est un canal à petite section, dérivé du Nil à la hauteur du Caire et conduit au lac Timsah, afin d’apporter de l’eau douce dans l’isthme et de rattacher le canal maritime à l’intérieur du pays. Entre les plans divers qui procèdent du tracé direct, c’est le seul que nous ayons à discuter après avoir apprécié les données du système, à savoir : l’isthme, milieu de traversée ; un canal alimenté par la Mer-Rouge ; le débouché sur la plage de Tineh, la plus rapprochée des restes de Peluse, qui sont dans les terres.

Le tracé direct a pour lui la première impression : à la vue d’une séparation étroite des deux mers, rien ne semble plus naturel que de la supprimer ; après examen, rien ne paraît plus contraire à la bonne conduite des choses que ce mode expéditif de communication. Un canal dans l’isthme est extérieur au Nil et à l’Égypte. Est-il donc admissible, lorsque cette terre réclame une abondante distribution de son fleuve, qu’on renonce à l’emploi des eaux du Nil dans un canal de dimensions exceptionnelles qui pourrait être un magnifique instrument de fertilisation ? Est-il une occasion plus propice de développer la prospérité agricole du pays sur une large échelle ? La perdre, ce serait une faute dont le canal du Caire au lac Timsah, proposé par MM. Linant et Mougel, ne serait qu’une réparation médiocre, puisqu’il ne doit être établi que pour l’irrigation de 50 000 hectares au plus. C’est un premier fait anormal que ce canal d’eau salée dans l’isthme à côté du Delta à fertiliser et du Nil à utiliser ; le second fait l’est davantage. Conçoit-on une route commerciale tenue en dehors du milieu de production et passant par le désert ? Sommes-nous au temps du roi Nechos, qui craignait que la jonction des deux mers ne livrât l’Égypte à l’invasion des barbares ? Si la navigation européenne est reliée au Caire par le canal du lac Timsah, elle n’aura avec le Delta et Alexandrie que des rattachemens lointains assez préjudiciables pour que les bâtimens préfèrent relâcher à Alexandrie, qu’ils auront sur leur route, et cette alternative est encore un préjudice.

Supposons le canal fait, sait-on ce qui arrivera ? Ce qui arrive invariablement en pareille circonstance : le déplacement du siége des intérêts commerciaux. Aujourd’hui Alexandrie est le lieu d’é-