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inspirer de semblables pensées à une jeune femme. — Le fait est qu’Hamid eût été comparativement heureux de pouvoir attribuer à un autre que lui le malheur d’Emina ; mais, quoique fort adoucie à son égard, je ne poussai pas la complaisance jusqu’à lui donner satisfaction sur ce point, et je lui déclarai nettement qu’il ne pouvait rejeter sur personne la responsabilité des événemens. Je conclus en disant qu’aucune puissance humaine ne pouvait lui rendre sa femme, qu’il devait mettre tous ses soins à adoucir les derniers instans qu’ils avaient encore à passer ensemble. Emina possédait un tour d’esprit, une intelligence élevée dont lui-même n’avait aucune idée, et qui dans d’autres circonstances eût pu lui paraître ridicule. Emina se préoccupait fort de Dieu et de la vie qui l’attendait au-delà du tombeau ; elle avait à ce sujet des idées qui se rapprochaient beaucoup plus des nôtres que des siennes ; vraisemblablement elle lui en dirait quelque chose, et je l’engageai de toutes mes forces à ne pas la contredire là-dessus, et surtout à ne pas lui répondre avec légèreté, ce qui serait pour son cœur la dernière et la plus fatale blessure, à l’écouter patiemment, sérieusement, à se donner l’air de la comprendre et d’entrer dans ses sentimens.

— J’y entrerai de bonne foi, répondit-il d’un air triste et soumis dont je lui sus bon gré. — J’ai toujours pensé, ajouta-t-il, qu’Emina avait une forte tête, et qu’il y avait en elle quelque chose d’extraordinaire. Je croirai ce qu’elle me dira de croire, pour lui faire plaisir d’abord, et ensuite parce que je suis sûr qu’elle a raison. Oui, elle a toujours eu raison, la chère petite…, excepté pourtant, ajouta-t-il en revenant à son idée fixe, excepté lorsqu’elle a cru que j’aimais Ansha ! Allah !

Nous causions encore, lorsqu’une esclave vint m’avertir qu’Emina m’attendait. Je me levai. — Puis-je vous accompagner auprès d’elle ? me demanda timidement le bey.

Réfléchissant à mon tour qu’il serait plus à son aise pour lui parler de son amour si je n’étais pas présente, je lui proposai de me précéder de quelques instans, lui promettant de le rejoindre bientôt ; mais s’il est vrai que les Orientaux ont l’affectation de la dignité, s’il est vrai que dans les circonstances ordinaires ils aiment à se montrer toujours graves et immobiles, il n’est pas moins certain qu’une fois lancés dans la voie de l’émotion, ils ne s’y arrêtent jamais pour lire dans les yeux du spectateur l’effet produit par leur bon ou par leur mauvais jeu. Hamid n’accepta pas ma proposition, parce qu’il voulait, dit-il, que je pusse le mettre immédiatement à la porte, si sa présence ou ses discours fatiguaient Emina. — Il ne me manquerait plus maintenant, ajouta-t-il, que d’empirer son état par les témoi-