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— Merci, Hamid, murmura Emina, merci ; tu m’as fait plus de bien que je n’en attendais encore en ce monde. Maintenant va te reposer, et n’abuse pas du retour de tes forces.

Hamid profita de l’avis, et, à vrai dire, il lui tardait d’être seul pour éclater à son aise. Il fit signe qu’on ne le suivît pas, et il rentra chez lui.

Ansha avait été un des muets témoins de cette scène. Elle se contint ; mais le diable, comme on dit, n’y perdait rien. — Te voilà bien fière et bien joyeuse, pâle sorcière que tu es ! pensa-t-elle en arrêtant un sombre regard sur Emina ; mais il me reste encore assez d’haleine pour souffler sur ta joie et pour l’éteindre.

À partir de ce jour, Hamid passa tous les matins et tous les soirs une heure auprès d’Emina, lui prodiguant tous les témoignages d’affection dont sa pauvre âme était depuis longtemps affamée. Ansha, presque toujours présente, ne laissait échapper aucune occasion de verser quelques gouttes de fiel sur ce miel qui l’importunait fort. Un jour entre autres, elle crut avoir trouvé le moyen de détruire la confiance et la tendresse qu’Hamid-Bey paraissait avoir rendues à Emina. Prenant la parole au milieu d’un de ces silences qui s’établissent d’eux-mêmes et quoi qu’on fasse auprès des malades, elle dit d’un air dégagé : — J’ai des nouvelles à t’apprendre d’un de tes anciens amis, Emina ; Saed, le beau Saed, se marie. — Puis elle ouvrit tout grands des yeux pleins de malice, pour jouir du désordre où pareille nouvelle allait jeter Emina ; mais Emina ne l’entendit seulement pas, et lorsqu’Ansha, qui avait vainement attendu la crise désirée, se décida à répéter sa phrase en élevant la voix et en se penchant vers sa rivale inattentive, celle-ci se contenta de répondre :

— Ah ! se marie-t-il ? J’en suis bien aise. Pourvu que ce mariage le rende heureux !

Ce fut le tour d’Ansha de se mordre les lèvres, mais cela ne remédiait à rien.

Cependant Emina ne se plaignait plus. Ce n’est pas que ses douleurs fussent moins vives, mais elle voyait que son mari souffrait de la voir souffrir, et, satisfaite de l’affection dont cette sensibilité était le témoignage, elle tâchait de l’épargner. Hamid-Bey, de son côté, dont la sensibilité, quoique éveillée cette fois, n’avait rien d’excessif, se persuada aisément qu’Emina se trouvait mieux, puisqu’elle se plaignait moins. Les jours s’écoulaient ainsi, et le mal de la pauvre petite faisait de rapides progrès.