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que juste ce qu’il lui convenait qu’il sût, se dirigea vers la chambre d’Emina, s’assura qu’elle ne pourrait lui donner de si tôt un démenti, et revint auprès de son mari, en affirmant que l’indisposition de la jeune femme n’avait aucune gravité. — Allons, il faut espérer que cela ne durera pas, dit le bey, et il soupa d’assez bon appétit. Il jouit encore pendant quelques instans de la société de son aimable famille, et le sommeil vint clore enfin cette journée de bonheur et de bien-être.

XII.

Plusieurs jours s’écoulèrent. Emina était revenue de ses évanouissemens ; mais il lui restait une faiblesse excessive, qu’augmentaient de moment en moment les spasmes et les suffocations auxquels la pauvre fille était en proie. Le moment arriva où, soit que la faiblesse eût vaincu l’agitation, soit que Dieu eût pris pitié d’elle, elle se résigna complètement à sa destinée. Dès lors elle fut plus calme ; ce n’était pas le calme de la fermeté dans la résistance, ni le calme de la vie qui triomphe de mille vaines atteintes : c’était un calme non moins puissant, le calme du désespoir et de la mort. Quel qu’il fût pourtant, il eut pour résultat de rendre Emina à elle-même, de la tirer de cette atmosphère inquiète, agitée, fiévreuse, dans laquelle elle vivait depuis son mariage, et de la ramener à son naturel méditatif et élevé. Elle parvint petit à petit à détourner sa pensée des scènes d’amour et de jalousie qui l’obsédaient, pour se reporter en esprit aux jours plus sereins de son enfance. Elle se demanda alors ce qu’étaient devenues sa ferme confiance dans la sollicitude divine, sa certitude de ne jamais invoquer vainement le secours d’en haut, sa conscience de la présence continuelle d’un esprit tout puissant et parfait dans sa bienfaisance. La voix qui lui avait jadis révélé mille dangers inconnus, en lui enseignant les moyens de s’en préserver, s’était-elle tue, ou bien était-ce Emina qui avait cessé de lui prêter une oreille attentive ? Du moment qu’elle se posait cette question, la réponse ne pouvait être douteuse, et Emina se reconnut franchement coupable d’oubli et d’indifférence pour tout ce qui n’était pas l’objet de son malheureux amour. Elle arriva sans peine à cette conclusion, que quelque bon, quelque grand que fût Dieu, il ne pouvait demeurer indifférent devant l’ingratitude et l’oubli d’une créature qu’il avait pris soin d’éclairer. — Je ne veux pas, s’écriait-elle ensuite, augmenter, en m’abandonnant à mon désespoir, la douleur de mon Dieu. Non, non, mon doux Seigneur, ne craignez pas pour moi ; je ne fléchis pas sous le poids de mes maux, je ne me débats pas comme un enfant dépité et colère pour m’en délivrer. Le