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si gentille… Où est donc Ansha ? Fais-moi le plaisir de l’appeler.

Confondue par l’affectueux dédain de son mari, Emina aurait voulu parler et lui dire : Hamid ! Hamid ! regarde-moi et aime-moi… comme pendant ton délire. La voix lui manqua, elle se sentit humiliée, troublée. Sans répondre au bey, elle se dirigea vers la chambre d’Ansha, lui annonça qu’Hamid la demandait, puis courut s’enfermer dans une pièce qu’elle savait inhabitée ; mais là ses forces l’abandonnèrent, et la pauvre enfant tomba évanouie sur le divan.

— Hamid-Bey vous appelle, avait dit Emina, et ces trois mots avaient frappé Ansha comme une étincelle électrique. — Il m’appelle ! donc il a retrouvé sa raison, donc il me revient, et voilà cette déplorable comédie terminée. — Et avec la rapidité qui n’appartient qu’à la foudre et au génie de la femme jalouse de son influence, Ansha s’était tracé aussitôt un plan de conduite, sans oublier rien de ce qu’il fallait avouer, ni de ce qu’il fallait cacher, ni de ce qu’il convenait de laisser subsister, mais en le modifiant. Elle ordonna à ses enfans de la suivre jusqu’à la porte de la chambre d’Hamid, de l’y laisser entrer seule, mais de la rejoindre aussitôt qu’ils entendraient sa voix. Elle fit son entrée l’air triste et grave, comme si elle n’avait aucun soupçon du changement survenu dans l’état de santé du bey, car c’eût été un aveu imprudent que de paraître considérer son appel comme un événement extraordinaire. Elle s’avança avec empressement, mais sans lever les yeux, jusqu’à ce qu’elle fût assez près de lui pour qu’il pût remarquer le jeu de sa physionomie. Alors, mais alors seulement, elle hasarda un regard, et ce regard lui apprit tout… ce qu’elle savait déjà, — Que vois-je ! s’écria-t-elle en joignant les mains et en les élevant vers le ciel en signe de reconnaissance, que vois-je ! Non, je ne me trompe pas, vous nous êtes rendu, noble Hamid. Ah ! parlez-moi ! que le son de votre voix chérie me confirme dans mon espoir, et que le saint prophète en soit loué !

Que cet accueil était différent de celui qu’Hamid venait de recevoir d’Emina ! En fit-il la remarque ? Peut-être, et pourtant, ne sachant pas encore au juste de quels lointains rivages il revenait, l’émotion d’Ansha le surprit plus encore qu’elle ne le toucha. Le bey avait à peine eu le temps de répondre aux questions que multipliait Ansha sur l’état de sa santé, sur sa faiblesse, ses maux de tête, etc., quand les enfans, fidèles aux instructions de leur mère, envahirent la chambre. Ansha, se tournant vers eux, leur cria aussitôt : — Accourez, mes enfans ! venez auprès de votre père, il nous est enfin rendu ; oui, il est rendu à nos pleurs et à nos vœux ! — Aussitôt, joignant l’exemple au précepte, Ansha se précipita à genoux et les enfans firent de même, le tout au très grand ébahissement du bey, dont la curiosité