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vit sur chacun un verset du Koran approprié à la circonstance, et plaça les papiers sur les tranches. Ces préparatifs terminés, l’iman s’approcha avec précaution du blessé, tenant son plateau à la main, non sans avoir recommandé à Emina, qui était assise sur le bord du lit, de mettre ses mains dans celles d’Hamid et de ne pas bouger. Lorsque l’exorciste fut arrivé près du lit, il prit une tranche du gâteau, en enleva le papier, mangea l’une et déposa l’autre sur la tête du possédé, opération qu’il répéta jusqu’à six fois consécutives, après quoi il déclara qu’un peu de repos lui était nécessaire, vu l’acharnement de l’esprit de ténèbres ; mais, cédant aux instances et aux supplications d’Ansha, le saint homme fit un dernier et généreux effort, et il vida le plateau. Hamid cependant paraissait ne ressentir aucun effet de ce merveilleux traitement. Le docteur jugea donc nécessaire de recourir à des moyens plus énergiques. Il roula respectueusement entre ses doigts l’un des petits papiers qui couronnaient la tête du bey, et il le lui présenta pour qu’il l’avalât ; mais la douce voix d’Emina elle-même échoua cette fois contre l’invincible endurcissement du blessé, qui serra les poings, grinça des dents, et se montra plus disposé à avaler le docteur que son petit papier. Décidément le diable tenait bon et n’était pas aussi facile à déloger qu’on l’avait pensé ; l’iman déclara d’un ton capable et entendu qu’il savait bien pourquoi, et que c’était à Emina elle-même d’avaler les papiers dont le bey ne voulait pas. Trop heureuse d’obtenir au prix de ce léger sacrifice qu’on laissât son mari tranquille, Emina consentit à avaler autant de petits papiers qu’on le jugerait à propos. Le malade cependant ne donnait pas le moindre signe d’amendement. — Il faut nous contenter pour le moment de ce que nous avons obtenu, dit gravement l’iman, dont la modération se montrait digne des plus grands éloges. Espérons que le temps et notre persévérance nous procureront des résultats plus décisifs.

Avant de s’éloigner et cédant aux prières d’Ansha, Ahmed-Effendi prépara un charme salutaire, et le laissa comme auxiliaire auprès du malade, absolument comme nos grands médecins d’Europe laissent auprès de leurs malades de distinction un aide-médecin chargé de veiller à l’administration des médicamens et de combattre les crises imprévues. Le charme salutaire consistait dans les cendres du feu qui avait cuit le gâteau, et qui, renfermées dans de petits sachets, furent placées çà et là sur le corps du blessé. L’iman se retira ensuite accompagné par Ansha et promettant de revenir.