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a fait son instrument indigne : ma tâche sera seulement plus difficile, mes rites plus compliqués, j’aurai à livrer une double bataille ; mais deux victoires sont-elles plus difficiles à remporter qu’une pour le Tout-Puissant ?

Tout en se tenant à une assez grande distance du possédé, l’iman dressa le catalogue des objets nécessaires à la conjuration. Il fallait d’abord un coq noir, mais tout noir, car une seule plume blanche mêlée aux noires pouvait produire des résultats incalculables. — Ahmed-Efïendi réclamait ensuite la racine d’une plante récemment arrachée, — une jatte de lait d’une vache ayant vêlé dans les vingt-quatre heures, — une oque de fine fleur de farine de froment, — une douzaine d’œufs frais pondus par des poules entièrement blanches, — une demi-oque de sucre blanc, — quelques herbes aromatiques, telles que la menthe, le serpolet, etc. Aucun des ingrédiens demandés par l’iman n’appartenait à la catégorie des produits exotiques, mais pour les trouver il fallait du temps. Il est vrai que le temps est nécessaire à bien d’autres choses encore, et entr’autres à la confection de certain ragoût à l’ail qui formait l’un des principaux titres à la célébrité de la négresse cuisinière du bey, ragoût que l’iman affectionnait de prédilection, et dont Ansha ne manquait jamais de le régaler lors de ses visites professionnelles.

Les servantes furent donc partagées en deux corps : le premier partit pour le village à la recherche du coq noir et des poules blanches, tandis que le second s’occupait des préparatifs du goûter. La journée s’écoula presque entièrement avant que le repas et l’exorcisme fussent préparés ; mais enfin tout s’arrangea si bien que le ragoût à l’ail et le coq noir parurent en même temps. Le docteur se restaura d’abord, et annonça ensuite qu’il était prêt à livrer bataille. On égorgea le coq noir, dont le sang fut soigneusement recueilli dans un baquet en faïence tenu par Ansha, qui remuait le liquide pour l’empêcher de se coaguler, tandis que l’iman, marmottant des formules mystérieuses, jetait tour à tour dans le baquet des poignées de farine et d’herbes aromatiques séchées au four et réduites en poudre, des pincées de sucre et des fragmens de la racine merveilleuse. Quand le gâteau eut été suffisamment pétri, Ahmed-Effendi se fit donner une casserole, y déposa une certaine quantité de beurre frais, plaça la casserole sur le feu, y versa la pâte encore liquide, et attendit, en continuant ses prières, que le feu lui donnât la couleur et la consistance voulues. Puis il retira la tarte du feu, la posa sur une planche carrée faisant office de plateau, et la coupa en plusieurs tranches. Prenant ensuite le papier, l’écritoire et la plume dont les hommes de sa profession sont toujours munis, il coupa autant de petits carrés de papier qu’il avait coupé de tranches de gâteau, écri-