Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/744

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nait comme un possédé, au risque de défaire cent fois ses bandages et de rouvrir ses blessures. Toutes les femmes l’entouraient, elles essayaient de le contenir ; mais que pouvaient leurs faibles bras contre la puissance de la jeunesse et de la fièvre ? Il envoyait l’une à dix pieds de sa couche et contre le mur, il renversait l’autre par terre, il faisait pirouetter la troisième jusqu’à lui enlever la respiration. Le plancher de sa chambre ressemblait à un champ de bataille après une action meurtrière. Personne ne songeant à Emina, celle-ci s’enhardit jusqu’à reprendre sa place auprès du blessé. S’approchant de lui et posant sa petite main sur le bras qu’il raidissait : — Hamid, lui dit-elle à voix basse, pourquoi vous agitez-vous ainsi ?

Hamid ne fit point de réponse ; mais un changement subit et complet s’opéra dans toute sa personne. — Ah ! les voilà qui prennent la fuite, les misérables ! Je savais bien qu’ils n’oseraient pas me regarder en face ; mais ils m’ont laissé sous le poids de cette pierre immense qui me fait tant de mal !

Sans mot dire, Emina porta sa main du bras à la tête d’Hamid. — Qui donc enfin a eu pitié de moi ? demanda-t-il.

— C’est moi, seigneur, répondit timidement Emina.

— Qui es-tu ?

— Ne me reconnaissez-vous pas, noble Hamid ? ne reconnaissez-vous plus votre pauvre Emina ?

— Emina ! Qu’est-ce qu’Emina ? Ah ! je sais, une petite qui est dans mon harem… Mais non, ce n’est pas elle qui a soulevé cette pierre ; elle n’est ni assez forte ni assez courageuse pour cela. Montre-moi ton visage, ajouta-t-il après un moment de silence.

Emina n’osait guère, mais Hamid reprit en l’attirant plus près de lui : — Soulevez donc ce rideau rouge, qui jette un reflet sanglant sur tout ce qui m’entoure. — Puis, fixant sur elle un regard encore égaré : — Ah ! je te reconnais maintenant !… Tu es ma belle, ma brave Ae-Elma (blanche pomme). Comment es-tu ici sur ce rocher solitaire ? T’a-t-on dit que l’on m’y avait amené, enchaîné ?… Demeure auprès de moi, donne-moi ta main, et ne me quitte plus… Dis que tu ne me quitteras pas !… Tu sais bien, la dernière fois que je te vis, je ne voulais pas te laisser partir : je ne pouvais me résoudre à me séparer de toi, malgré ta promesse de revenir le lendemain ; mais maintenant que te voilà, tu resteras toujours auprès de moi, ta main dans la mienne et ta tête sur mon sein.

Ces discours incohérens étaient prononcés avec l’accent de la plus exquise tendresse. Emina, à laquelle ils n’étaient adressés que des lèvres, se raidissait contre les séductions de cette voix émue, de ces regards amoureux, de ces caresses fourvoyées. Elle rougissait devant ses compagnes de ces témoignages d’amour, d’abord parce qu’ils