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crètement à l’écart, Hamid s’écria d’une voix irritée et sans faire la moindre attention à la suppliante Ansha : — Pourquoi me remettre cette pierre sur la tête ? ne vous ai-je pas dit de m’en débarrasser ? Voulez-vous me faire mourir ? — Et il s’agitait sur sa couche comme une bête farouche dans sa cage, pendant que les femmes, interdites et éperdues, se consultaient du regard et ne savaient quel parti prendre ; mais la vieille dame, qui n’avait pas encore complètement oublié les mystères du cœur humain et de la jeunesse, prit la main d’Emina et la plaça de nouveau sur le front d’Hamid, L’agitation se calma aussitôt. Il respira profondément, comme un homme qui passe d’une situation insupportable à un repos bienfaisant ; ses paupières s’abaissèrent comme pour appeler le sommeil ; il murmura quelques mots de remerciement et de satisfaction, et il parut s’endormir.

Son sommeil fut long, quoique agité. Personne ne remuait dans la chambre à l’exception d’Ansha, qui allait d’une fenêtre à l’autre, et de celle-ci à la porte, déclarant que sans doute à son réveil Hamid retrouverait sa raison, que son délire était trop pénible à voir, et que s’il se prolongeait, il faudrait absolument avoir recours à l’iman. — Nous verrons, disait la grand’mère. — Et Ansha maudissait dans son cœur les caprices de la vieillesse, qui livraient son mari à sa rivale. Le moment si impatiemment attendu arriva enfin, et Hamid se réveilla ; mais c’était encore le même Hamid. La lumière de son intelligence n’était pas complètement éteinte ; elle était voilée, faussée. Son premier regard fut semblable à celui qui avait précédé son sommeil. Évidemment rien n’était changé en mieux dans l’état du blessé ; il y avait même dans ses mouvemens et dans l’expression de son visage une sombre irritation plus marquée qu’au début.

Ansha lui ayant demandé comment il se trouvait, il ne parut pas l’avoir entendue et ne lui fit aucune réponse. — N’accepteriez-vous pas une boisson de ma main, noble Hamid ? Une tasse de café vous ferait sans doute grand bien ? — Même silence. Encouragée par ce silence même, car Ansha n’avait pas le découragement facile, elle porta aux lèvres d’Hamid une tasse pleine du café qu’on avait servi aux femmes pendant son sommeil ; mais la tasse, violemment repoussée par le bey, alla tomber sur les genoux d’Ansha en l’inondant de café brûlant. — Je vous connais, disait Hamid en s’agitant ; vous êtes Méhémed-Bey, le chef des Kurdes, et vous me gardez rancune à cause de la jument que je vous ai enlevée, mais vous n’êtes que des traîtres, vous et vos amis. Venez donc vous battre avec moi : je suis fort et ne vous crains pas ; mais non, vous n’osez. Vous m’attaquez en traître, vous me jetez des pierres à la tête, vous m’écrasez sous un quartier de roche. Au secours, amis !

Et tout en poussant ces exclamations furieuses, Hamid se déme-