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la félicita de son adresse et lui promit pour le lendemain un nouveau cheval, à la condition qu’elle ne monterait plus celui-là. — Je ne me soucie pas, dit-il, de voir ma petite femme emportée à travers champs par un cheval fantasque et ombrageux. Je tiens à la garder pour moi le plus longtemps possible, et je veux éviter les mauvaises chances… — Ici Hamid s’interrompit, car les lumières de son village, qu’il aperçut au détour d’un sentier, vinrent donner un autre cours à ses pensées. — Nous voilà donc arrivés ! s’écria-t-il ; le temps m’a semblé bien court !

Il y avait dans ces quatre mots de quoi faire rêver Emina pendant bien des jours.

IX.

Ils étaient arrivés en effet. On donna quelques piastres et quelques tasses de café aux cavas, qui reprirent aussitôt le chemin de la ville. Ansha avait préparé pour Hamid un souper délicat et succulent auquel il ne fit pas grand honneur, la fatigue de la journée ayant, à ce qu’il disait, chassé l’appétit. Emina ne prit qu’une tasse de café. Les enfans dormaient, les servantes mouraient d’envie d’en faire autant. La conversation, qu’Ansha s’efforçait d’animer, languit, et la nuit, la véritable nuit, commença bientôt pour la population du harem.

Je ne sais si parmi mes lecteurs il s’en trouve un qui ait vécu dans l’intérieur d’une maison turque, et franchement je ne le crois pas. Ils sont dans leur droit s’ils se figurent que là comme chez nous chaque habitant ou habitante possède une chambre à part, un lit, un chez soi : il en est tout autrement. Les harems, même les plus riches et les plus vastes, se composent d’ordinaire d’un immense vestibule conduisant à quatre grandes chambres dont l’ameublement consiste dans une estrade qui fait le tour de l’appartement, et sur laquelle sont placés des tapis, des matelas et des coussins. De vastes armoires pratiquées dans les boiseries de ces pièces renferment un supplément de matelas, de couvertures, de coussins. Lorsque le besoin de repos se fait sentir à l’un des membres de la communauté, il étend une partie de ce supplément par terre, et il se couche dessus. La plus belle de ces chambres, la mieux exposée et la mieux aérée est réservée au maître et à celle de ses femmes qui jouit de sa faveur. Le reste de la famille, maîtresses ou servantes, enfans ou matrones, campent où bon leur plaît, dans les pièces vacantes, dans le vestibule, sur le palier, sur les toits, aujourd’hui ici, demain ailleurs, sans règle ni dessein préalable. C’est ainsi que les choses se passaient chez notre bey. Son lit, ou, pour parler plus exactement, sa