donnait droit au respect ; la plus jeune attribuait le même mérite à sa beauté, et la plus riche à sa fortune. C’étaient des criailleries et des disputes sans fin ; toutes voulaient commander, et aucune ne voulait obéir. Mistress Ward trouvait naturel que la polygamie engendrât de telles misères. « Votre lenteur d’intelligence est remarquable, mistress Ward, lui répondit mistress Bradish. Ce n’est pas la polygamie qui rend ces femmes malheureuses, ce sont les vues fausses et dangereuses dans lesquelles elles ont été élevées. Les filles de ces mêmes femmes si rebelles au système y seront habituées dès l’enfance, et ne s’aviseront pas d’y rien voir de mal. La polygamie n’offensera point leur sentiment du droit, ni ne leur semblera humiliante et dégradante. Aucune ne reculera devant l’idée d’être la troisième femme d’un homme dont les deux premières femmes sont vivantes, pas plus qu’elle ne s’effraie aujourd’hui d’épouser en troisièmes noces un homme dont les deux premières femmes sont mortes. C’est la coutume et l’opinion publique qui règlent toutes ces choses. Sous l’empire grec, on regardait comme immoral de se marier plus d’une fois. Dans des temps plus récens, un homme a pu épouser une vingtième femme, pourvu que la dix-neuvième fût morte, ce qui, dans mon opinion, n’est pas plus moral que d’épouser la vingtième, la dix-neuvième vivant encore. » Ce dernier sentiment nous rappelle l’argumentation par laquelle il est arrivé un jour à Brigham Young de justifier la polygamie. « S’il est légitime (disait ce moral interprète de l’Écriture avec une subtilité qu’auraient enviée les sophistes grecs, inventeurs des argumens du chauve et du tas de blé), s’il est légitime d’avoir une femme, il est légitime d’en avoir deux ou même davantage ; car les actions morales mauvaises en elles-mêmes, telles que le vol, le meurtre et autres crimes semblables, ne sont pas permises une seule fois. Par conséquent, puisque les actions bonnes en elles-mêmes peuvent être répétées indéfiniment, l’action de prendre une femme peut être répétée également plusieurs fois. » Cette argumentation est un assez remarquable échantillon de la manière de raisonner des mormons. Ils ont généralement cette même bonne foi et cette simplicité, cette candeur d’esprit qui brillent dans le sophisme de Brigham Young.
Là où la polygamie existe, il doit nécessairement exister aussi un code sévère de punitions pour la femme rebelle aux ordres de son maître. Ce code existe-t-il à Utah ? Il est difficile qu’il n’y ait pas certains pouvoirs absolus attribués au mari ; le seul renseignement que nous ayons à cet égard nous est fourni par l’épouse fugitive de l’elder mormon. S’il faut l’en croire, ce code existe et est appliqué secrètement dans l’intérieur des ménages mormoniques. D’après cette législation secrète, toute femme qui révèle les détails du ménage de manière à compromettre l’honneur du mari ou de quel-