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dération le droit de se gouverner lui-même, elle n’a pas sans doute entendu accorder à ces états le droit de se choisir une forme de gouvernement hostile à l’existence même de la fédération. La constitution a été faite pour régler l’état social existant en 1789, elle a été faite pour des colonies ayant toutes à peu près les mêmes institutions et les mêmes traditions : elle leur a donc accordé le droit de se gouverner d’une manière indépendante ; mais elle eût certainement été différente, s’il eût existé une grande variété de formes politiques dans les divers états. La constitution n’a pas prévu le mormonisme, la théocratie et la polygamie : il est donc inutile de l’invoquer en faveur de toutes ces nouveautés. La règle de conduite à tenir à cet égard doit être cherchée ailleurs que dans la constitution.


IV. — LA POLYGAMIE.

Il n’est point douteux que les mormons ne fussent devenus très belliqueux, si les Américains n’avaient pris les devans. L’esprit de la secte appelait la propagande à main armée, et la condition des sectaires les poussait à ces moyens d’agrandissement qu’employèrent les compagnons de Romulus. Cette secte a quelque chose de plus odieux et de plus repoussant que la plus odieuse des sectes. Elle n’a absolument rien de chrétien : on dirait un bâtard du mosaïsme et du mahométisme dû à la repoussante collaboration d’un fripier juif, d’un musulman radoteur et d’un vieil apôtre saint-simonien qui n’a pas trouvé de chemin de fer à exploiter. Les Américains ne se piquent pas encore d’une grande délicatesse de manières ; mais quelles que soient les confusions morales des dernières années et leur trop grande indulgence pour le humhug et le mensonge qui réussit, ils peuvent se vanter encore d’une grande sévérité de mœurs, et certainement une des choses qui les a le plus repoussés dans le mormonisme, c’est la polygamie. Quel que fût son amour des femmes, Smith avait d’elles, il faut le croire, une assez triste opinion, car il tranche tout net la fameuse question tant agitée de l’inégalité des sexes en plaçant la femme au niveau d’un animal domestique. Il ne demande pas si elles ont une âme, il est convaincu qu’elles n’en ont que si on leur en prête une, et il commence par les retrancher du royaume des cieux pour finir par les réduire à l’état d’esclaves dans la société. Les femmes ne peuvent se sauver que par le moyen de l’homme et n’ont par elles-mêmes aucun moyen de salut. Cela n’est point rassurant pour celles qui meurent filles ou ne trouvent pas à se marier ; les voilà condamnées à l’anéantissement éternel ! Le grand cœur de Smith, compatissant à cette immense infortune, inventa, pour la soulager, le sacrement du mariage spirituel, spiritual wifery.