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est la véritable originalité du mormonisme, la raison de sa force politique et la source des persécutions qu’il a endurées. Smith prêcha l’exclusion des gentils, et refusa le titre de croyant à quiconque ne pensait pas comme lui. De là à regarder les infidèles comme des ennemis, il n’y a qu’un pas, et l’on peut croire que ce pas fut souvent franchi. Je n’hésite pas un instant à regarder comme vrais beaucoup des crimes, délits, violences que l’on attribue aux mormons contre leurs concitoyens, car cela est dans la logique de leur situation. Ils devaient naturellement voir dans les Américains des Égyptiens, sur lesquels on pouvait renouveler impunément et avec l’assentiment de Dieu les procédés des Hébreux sur le peuple de Pharaon. Les Américains le comprirent : il ne s’agissait pas là vraiment de baptême ni d’imposition des mains, il s’agissait de savoir si les mormons étaient, oui ou non, de simples citoyens disposés à se laisser gouverner par les lois générales de l’Union, ou bien si leur religion en faisait des êtres à part, une caste ennemie, une armée de conquérans. Du moment que leurs voisins n’étaient que des idolâtres, qui donc pouvait empêcher les mormons de les convertir par la violence une fois qu’ils seraient les plus forts ? Au fond, Smith prêchait une manière de mahométisme, et l’organisation de sa secte était merveilleusement appropriée à seconder ce fanatisme de propagande guerrière et d’exclusion judaïque. Les mormons, en refusant de reconnaître les autres chrétiens pour leurs frères, se séparaient de la communauté chrétienne, et se plaçaient en dehors de la société établie ; ils se privaient eux-mêmes du bénéfice des lois. De quoi pouvaient-ils se plaindre, et qu’ont à réclamer en leur faveur les amis de la tolérance ? Je voudrais bien savoir si ces libéraux si compatissans laisseraient s’établir à côté d’eux une colonie de socialistes ayant un gouvernement à eux, une armée à eux, ne reconnaissant pas pour leurs concitoyens les habitans du pays qu’ils occupent, refusant de reconnaître les lois de ce pays, et en réclamant en même temps la protection. Il est probable que ces libéraux leur enverraient des coups de fusil. Les Américains ont agi de même à l’égard des mormons, et j’avoue ne pas voir dans leur conduite le moindre fait d’intolérance.

Grâce aux doctrines de Smith, les mormons formaient donc un peuple distinct dans la grande fédération. Il y a mieux : ils formaient un gouvernement distinct et parfaitement opposé à celui de la république. Il n’y a pas un seul principe de la constitution qui ne fût violé et contredit par leurs doctrines et leur organisation politique. La constitution reconnaît la tolérance religieuse et les droits de la conscience individuelle ; les mormons rejettent ce principe par leur division du monde chrétien en saints et en gentils. La constitution