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le ciel que ce ne soit pas l’avant-goût de la flamme qui ne s’éteint pas et du ver qui ne meurt jamais, et remarquez mes paroles…

« — Ne me maudissez pas, ne me maudissez pas ! dit-elle en l’implorant avec larmes ; vous ne devez pas me maudire !

« — Je vous maudis, moi ? Non, c’est vous qui vous êtes maudite vous-même. Ainsi que vous m’avez oublié, vous serez oubliée ; ainsi que vous avez abandonné vos enfans, vous serez abandonnée ; ainsi que vous vous êtes détournée de vos amis, on se détournera de vous. Et maintenant, faible créature pécheresse et conduite à l’abîme, demeurez avec votre vagabond jusqu’à ce qu’il haïsse votre présence et que vous lui soyez un objet de dégoût ; demeurez avec lui jusqu’à ce qu’il vous mette à la porte, dans la nuit, par la pluie et le vent, pour serrer dans ses bras une femme plus belle et plus jeune que vous. Et que cette parole résonne à vos oreilles comme le glas de mort de votre âme, qu’on vous rendra ce que vous avez fait, et que la loi du talion vous sera appliquée ! — Puis, se retournant, il sortit de l’appartement.

« Un long cri d’agonie sortit de la poitrine de mistress Clarke, et elle tomba sans connaissance sur le plancher. Nous allâmes en toute hâte à son secours.

« — Pauvre enfant ! dit mistress Bradish, elle a eu durement à lutter avec son vrai devoir ; mais la vérité a triomphé. »


Le dernier trait que nous ayons à noter dans le caractère de Smith, c’est une certaine irascibilité, et il est important, car il prouve que le prophète s’était pris à moitié au sérieux. Les purs charlatans ne s’emportent point contre les obstacles, ils tournent la difficulté ou sautent par-dessus. Il est à remarquer que cette irascibilité n’était pas naturelle à Smith, on n’en trouve point trace dans les premières années de son apostolat, et elle s’était révélée par degrés, à mesure que le succès de ses fourberies avait grandi. Le succès sembla lui avoir monté à la tête, comme l’ivresse, et lui avoir ouvert des horizons nouveaux. Ses dernières années se ressentent de cette disposition d’âme, et ce fanatisme, acquis par le triomphe, communiqua à sa personne quelque chose d’un peu moins grossier. C’est cette irascibilité qui devait le perdre, et qui le perdit en effet. On connaît les dernières actions de sa vie : il frappe à droite, à gauche, avec une vigueur de Mahomet et de Calvin, et, — ce qu’il y a de curieux et de vraiment inexplicable, lorsqu’on songe à la personne de ce malheureux jongleur, — avec une intelligence tout à fait remarquable des coups qu’il doit frapper pour assurer définitivement le triomphe de sa cause. Il écrase le schisme. Ses premiers disciples étaient de pauvres diables crédules et turbulens, il fallait les écarter pour les remplacer par une nouvelle génération de saints, et élever les saint Paul qui devaient ceindre l’épée, les Josué qui devaient continuer l’œuvre de cet étrange Moïse ; il le fit. Il fallait, sous peine d’être