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deux faits. Les superstitions qui plaisent aux Anglo-Saxons et aux Germains sont de l’essence même du rationalisme : ce sont celles qui témoignent de la puissance de l’homme, du pouvoir de sa volonté sur les forces naturelles, et aussi celles qui témoignent de la présence de l’esprit de vie dans les objets de la nature. Jadis ils croyaient aux sorciers et vendaient volontiers leur âme au diable, parce que les sorciers exerçaient un pouvoir plus grand que celui des autres hommes, et parce que le diable donnait ce pouvoir. Aujourd’hui ils croient aux magnétiseurs et au magnétisme, parce que magnétisme et magnétiseurs représentent sous une nouvelle forme ce que représentaient les sorciers et le diable : la force de la volonté. C’est par la même raison qu’ils ont cru aux tables tournantes. Quoi d’étonnant s’ils croient ardemment en des docteurs en théologie qui prétendent posséder l’ancien pouvoir d’évoquer l’Esprit saint, de guérir les maladies ou de conférer la sainteté par l’imposition des mains, croyances qui rentrent dans l’ordre d’idées que nous venons d’exposer comme propre aux races germaniques ? Rien n’est donc contradictoire qu’en apparence dans le génie des peuples, et entre ces grossières superstitions et la moderne philosophie allemande il y a une ressemblance frappante pour qui sait bien voir. Le monde lettré de l’Europe commence beaucoup à s’occuper de la philosophie d’un Allemand, M. Arthur Schöppenhauer, dont le système repose sur la force de la volonté, considérée non plus comme principe d’action mettant en mouvement les choses créées, mais comme principe de création même. Dans ses superstitions comme dans ses nobles croyances, la race germanique reste bien toujours la même : la race de l’individualité, de la liberté, la race féodale, protestante et républicaine par excellence. Nous signalons cette tendance à tous les esprits curieux, et nous croyons qu’elle a été pour beaucoup dans le succès de Joseph Smith et dans celui qu’obtiennent chaque jour ses disciples sur l’émigration scandinave, allemande et anglaise.

Cette parenthèse nécessaire fermée, achevons d’esquisser la figure de Joseph Smith. Son grand vice était la sensualité et l’amour des femmes. Toute sa personne physique indiquait assez que c’était là son vice dominant, et qu’il possédait les ressources qui pouvaient le satisfaire. Il n’était certes point beau, et il était pesant et massif de corps ; mais le menton obstiné, le nez entreprenant, l’œil audacieux, le front bas et sans honte, exprimaient nettement la facilité des désirs et la force de résolution qui sait les mener à bonne fin. Il semble avoir connu le point faible des femmes et l’avoir habilement exploité, je veux dire la crédulité. Il savait que la passion commence souvent par l’étonnement, et sa qualité de prophète le servait à merveille. L’auteur du livre que nous avons déjà cité nous raconte l’his-