Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
LA PETITE COMTESSE.

Je ne vous parlerai point, monsieur, des tristes circonstances qui ont précédé cette dernière catastrophe. Vous n’ignorez, je le sais, aucun trait de la fatale passion qu’avaient inspirée à une malheureuse jeune femme les mérites et les qualités que nous sommes réduits à pleurer aujourd’hui. Je ne vous dirai rien des scènes de deuil qui ont suivi la mort de Mme  de Palme. Un autre deuil les recouvre déjà dans notre souvenir.

La conduite de M. George durant ces tristes journées, la sensibilité profonde et en même temps l’élévation morale dont il ne cessa de nous donner le spectacle, avaient achevé de lui gagner nos cœurs. J’aurais voulu vous le renvoyer aussitôt, monsieur : je voulais l’éloigner de ce lieu désolé, je voulais le conduire moi-même dans vos bras, puisqu’une préoccupation douloureuse vous retenait à Paris ; mais il s’était imposé le devoir de ne pas abandonner si promptement ce qui restait de l’infortunée.

Nous l’avions recueilli près de nous ; nous l’entourions de nos soins. Il ne sortait du château que pour faire chaque jour à deux pas un pieux pèlerinage. Sa santé cependant s’altérait visiblement. Avant-hier dans la matinée, Mme  de Malouet le pressa de nous accompagner, M. de Breuilly et moi, dans une promenade à cheval. Il y consentit, quoique avec peine. Nous partîmes. Chemin faisant, il se prêta de tout son courage aux efforts que nous tentions pour l’engager dans notre entretien, et le tirer de son accablement. Je le vis sourire pour la première fois depuis bien des heures, et je commençais à espérer que le temps, la force d’âme, les soins de l’amitié pourraient rendre un peu de calme à son souvenir, quand, au détour de la route, un hasard déplorable nous mit face à face avec M. de Mauterne.

Ce jeune homme était à cheval : deux amis et deux dames l’accompagnaient. Nous suivions la même direction de promenade ; mais son allure était plus rapide que la nôtre : il nous dépassa en nous saluant, et je ne remarquai pour moi dans son air rien qui pût attirer l’attention. Je fus donc fort surpris d’entendre M. de Breuilly l’instant d’après murmurer entre ses dents : Ceci est une infâme lâcheté ! — M. George, qui au moment de la rencontre avait pâli et détourné légèrement la tête, regarda vivement M. de Breuilly : — Quoi donc, monsieur ? De quoi parlez-vous ? — De l’insolence de ce fat ! — j’interpellai M. de Breuilly avec force, lui reprochant sa manie querelleuse, et affirmant qu’il n’y avait eu trace de provocation ni dans l’attitude ni sur les traits de M. de Mauterne, lorsqu’il avait passé près de nous. — Allons, mon ami, reprit M. de Breuilly, vous avez fermé les yeux — ou vous avez dû voir, comme je l’ai vu, que le misérable a ricané en regardant monsieur ! Je ne sais pas pour-