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faisait rendre avec habileté tout ce qu’ils pouvaient donner. Rien n’est curieux comme l’empire qu’il a exercé sur certaines de ses dupes. Un de ses premiers disciples fut un vieil avare nommé Martin Harris ; on ne lui avait jamais connu d’autre passion que l’avarice, et elle était d’autant plus forte chez lui qu’elle y était à l’état d’instinct, sans être contrebalancée par aucune faculté intellectuelle. Lui demander de sacrifier son avarice était aussi difficile que de demander à la bête fauve de lâcher sa proie. Smith accomplit ce miracle. Un exemple plus remarquable de cette sorte de fascination fut la conversion qu’il opéra sur Sidney Rigdon. Sidney Rigdon, homme d’un caractère faible et turbulent, était le compère de Smith, et quelque borné que fût son jugement, il ne manquait cependant pas d’instruction. Si quelqu’un a été le complice de Smith, c’est bien lui ; c’est lui qui avait indiqué à Smith le manuscrit de Spaulding, qui devint le Livre de Mormon. Il avait assisté pour ainsi dire jour par jour à l’édification de cette énorme imposture, il devait connaître en conséquence toutes les ressources de mensonge que contenait l’esprit de Smith ; eh bien ! le complice fut la dupe du charlatan. Sidney Rigdon paraît avoir été aussi convaincu que les autres disciples de la visite de l’ange à Smith. La femme de Smith, Emma Hale, qui avait résisté aux prédications de son mari, et qui passait pour une personne de bon sens, finit par être persuadée de la mission du prophète. Dans toutes les occasions où il s’est rencontré en face de masses ignorantes et fanatiques, et où il a pu exercer ses pouvoirs de persuasion avant les violences et les engagemens à main armée, Smith a fait battre ses adversaires en retraite. Ce qui prouve bien qu’il n’était pas un idiot, comme le prétendent ses ennemis trop passionnés, c’est qu’il savait parler le langage qui convenait au public auquel il avait affaire, et qu’il s’entendait à le varier selon l’occasion. Dans les momens de danger, il savait donner juste la note du moment aussi bien que le plus habile orateur. Je ne sais en vérité si le fameux mot de Mirabeau à M. de Dreux-Brézé, mot qui peut-être sauva l’assemblée constituante, vint plus juste à son moment qu’une certaine apostrophe de Smith à la multitude déchaînée autour de lui. C’était au commencement de sa prédication ; les visites de l’ange à Smith avaient fait du bruit, et ses voisins, qu’il catéchisait, l’entouraient en l’accablant d’injures. « Toi, vagabond, tu as reçu les visites d’un ange ! lui disaient-ils. Nous te connaissons, faussaire ; parle un peu de la bible d’or, voleur ! Un charmant interprète en vérité que Dieu a choisi en toi ! » La réponse qu’on prête à Smith fut hardie, éloquente et décisive. « Eh ! qui vous a faits juges, faibles mortels, des actions de votre Créateur ? Le grand Dieu voit le cœur de tous les hommes, et s’il a voulu choisir un pécheur pour annoncer sa parole, vous éleverez-