pratiques déjà connus. En vérité, la conception de Smith n’a pas plus de valeur que n’en ont les combinaisons de la loterie. Placez toutes les idées religieuses et philosophiques dans une urne ; laissez au sort le soin de prononcer et de former un assemblage quelconque que vous décorerez du nom de système ; puis voyez quelles idées sont sorties, lisez les bulletins : anthropomorphisme, baptême par immersion, négation du péché originel, dogme de la rédemption, établissement de la dîme, polygamie, imposition des mains, etc. Tel est le procédé de Joseph Smith pour créer une religion ; il l’a fabriquée comme Bridoie jugeait les procès, par le sort des dés. Quelle est l’idée morale principale du mormonisme, l’idée mère de toutes les autres ? Je déclare qu’avec la meilleure foi du monde, je n’ai pas pu la découvrir. Celle-ci a-t-elle plus d’importance que celle-là, ou réciproquement ? Très subtil sera celui qui pourra résoudre cette question. En réalité, il n’y en a aucune qui soit plus importante qu’une autre ; mais il en fallait un certain nombre pour former une religion, et Smith, qui connaissait au moins cette nécessité arithmétique, s’y est conformé : il a pris de toutes mains, — aux baptistes leur pratique du baptême, aux irvingiens leur croyance à la prophétie et à l’imposition des mains, aux sectes innombrables de l’Amérique leur croyance au millenium, aux méthodistes mêmes leur croyance à l’efficacité des pratiques religieuses, à la Bible l’organisation théocratique, au Koran la polygamie, enfin à certaines idées grossières qui courent l’Amérique, et qui ont toujours trouvé une certaine faveur parmi les populations ignorantes des races germaniques, la forme anthropomorphique sous laquelle les mormons conçoivent Dieu.
Ainsi rien d’intellectuel dans le sens strict du mot ne se rencontre dans la secte des mormons. Il s’en faut bien cependant que cette secte soit sans valeur. L’originalité qui lui manque métaphysiquement, elle la possède politiquement. Puisqu’ils n’ont rien énoncé de nouveau en religion, quelle est donc la base sur laquelle les mormons se sont constitués comme secte ? car enfin il doit en exister une, quelque grossière et vulgaire qu’elle soit. Cette base existe en effet : c’est d’une part l’idée singulière d’une révélation faite spécialement pour l’Amérique, d’autre part l’exclusion des gentils. C’est cette espèce de mahométisme chrétien qui constitue l’originalité et la force de la secte dont nous nous occupons. Nous aurons occasion d’y revenir en parlant des persécutions que les mormons ont eu à souffrir de la part des Américains, et qui se rattachent étroitement au caractère de cette secte, que les rudes Yankees ont deviné d’instinct.