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de Dieu plutôt que de solliciter la connaissance des stratagèmes du diable pour se nuire dans ce monde d’abord, et se damner dans l’autre ensuite.

Il y a encore une autre raison qui donne tort aux logiciens malencontreux qui voudraient se prévaloir de l’existence du mormonisme pour écraser toutes les sectes et même toutes les religions sous l’accusation de mensonge et d’hypocrisie. Toute secte possède au moins une idée originale qui la sépare des autres, et en vertu de laquelle elle existe. Cette idée originale est non-seulement sa raison d’être, mais son excuse, sa justification, la preuve de sa sincérité. L’existence d’une secte ne signifie généralement autre chose que ceci : c’est qu’il s’est rencontré un homme doué d’un grand enthousiasme moral dont une certaine idée s’est emparée plus puissamment qu’elle ne l’avait encore fait. Cette idée a agi sur son esprit avec une violence qui n’a pas permis à cet homme de se taire plus longtemps ; elle a pris dans son intelligence une extension excessive, peut-être exagérée, mais en tout cas prépondérante, et elle est devenue pour lui le centre du monde moral. La manifestation claire, lumineuse, violente de cette idée, que les autres hommes n’aperçoivent qu’obscurément et comme cachée sous les ombres de leurs passions, de leurs intérêts, ou d’autres idées qu’ils ont appris à honorer davantage, constitue ce que le sectaire appelle sa mission, le message divin qu’il est tenu de révéler au monde. Maintenant peu importe ce que cette idée traîne après elle, les corollaires ridicules que la logique peut en tirer, les couleurs fausses et passagères dont elle s’affuble, le jargon bizarre et prétentieux dans lequel elle s’exprime, les cérémonies inutiles et les symboles toujours imparfaits par lesquels elle essaie de se rendre matériellement visible et tangible : tout cela est périssable, et le temps en fait justice ; mais celui qui étudie l’histoire de telle ou telle secte reconnaît tout de suite sous cet attirail compliqué, sous cet amas confus de pratiques, de cérémonies, de prières et même de dogmes, l’idée qui fait l’âme de cette secte, idée qui est toujours grande, forte et simple. Ainsi donc, au fond de la religion la plus complexe, il y a toujours une idée principale, prépondérante, unique, d’où toutes les autres idées particulières découlent. Les fidèles peuvent s’y tromper quelquefois grossièrement eux-mêmes, prendre l’accessoire pour le principal, et s’attacher à un détail au détriment de l’ensemble : celui qui a l’habitude des choses morales ne s’y trompe pas. Or le prophète des mormons, homme habile, mais métaphysicien peu solide, ne semble pas s’être douté de cette vérité, qu’une religion doit contenir une idée principale d’où toutes les autres découlent. Il a cru qu’il suffisait, pour former une religion, d’unir ensemble tant bien que mal des dogmes et des