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REVUE. — CHRONIQUE.

dont la comédie s’accommode très bien. Lauzun explique au chevalier la route qu’il doit suivre, et lui prédit tous les incidens du roman qui commence. Sa prédiction s’accomplit de point en point, et l’auteur, pour apprendre au chevalier qu’il est aimé, a imaginé une sorte d’aveu qui ferait honneur à Marivaux : « Quand je serai partie, regardez mon éventail, et vous saurez le nom de l’homme que j’aime. » Sylvia ne dirait pas mieux. Le chevalier regarde en vain l’éventail, qui demeure muet. Il retourne l’éventail, et se voit dans un miroir encadré de plumes de cygne. La princesse demande à son père, pour M. de Riom, un brevet de capitaine dans les dragons. Le régent signe à contre-cœur et voudrait n’avoir rien signé, quand il apprend que M. de Riom est le neveu de Lauzun. Cependant la haute fortune du chevalier éveille la jalousie du lieutenant des gardes de son altesse, qui vient le provoquer. Rendez-vous est pris dans les fossés de la chartreuse. Le chevalier, mis aux arrêts, s’échappe par la fenêtre. Il revient sans blessure, après avoir fait à son adversaire une légère égratignure. À peine est-il rentré au château, à peine a-t-il reçu les félicitations de la femme qu’il aime, qu’on vient lui demander son épée au nom du roi. Le régent se défie du neveu de Lauzun, et, craignant pour sa fille l’entraînement de la grande Mademoiselle, il s’en délivre par une lettre de cachet : M. de Riom ira méditer dans l’île Sainte-Marguerite sur le néant des fortunes de cour.

Au troisième acte, la comédie fait place à l’espièglerie. Au lieu d’une raillerie fine et mordante, nous n’avons plus qu’une grosse gaieté, qui réunit encore de nombreux suffrages, mais qui dénature la donnée de la pièce. La lutte une fois engagée entre le duc de Lauzun et le régent, l’amant de la grande Mademoiselle, au lieu de chercher la victoire en homme de cour, imagine un stratagème que la comédie vraie ne saurait accepter. Il sait que son neveu est en route pour l’île Sainte-Marguerite. Le prisonnier doit s’arrêter au Bourg-la-Reine, dans une auberge. Lauzun arrive sur les traces de son neveu et imagine un plan d’évasion qui nécessite l’emploi d’un triple travestissement. Le plan de Lauzun réussit, et je dois dire qu’il réussit gaiement. Cependant je persiste à croire que la comédie le répudie.

Le quatrième acte tourne au drame ou menace du moins de s’attrister. M. de Riom, emporté dans le carrosse de son oncle par quatre chevaux anglais, arrive au château de Meudon avant la maréchaussée, qui le poursuit. Il se jette aux pieds de la duchesse, et obtient sans peine le pardon de sa témérité. Lauzun, pour le dérober à la colère du régent, demande à son altesse si elle aura le courage d’épouser son amant malgré la résistance de son père. La duchesse de Berri ne recule pas devant le danger, et marche résolument à la chapelle ; Lauzun se charge d’occuper le régent pendant qu’un prêtre unit l’altesse royale et le cadet de Gascogne. L’entretien du vieux courtisan et du père indigné est bien mené, mais trop court. Le chevalier irait coucher à la Bastille, si la duchesse, désespérant d’attendrir son père par ses prières, n’imaginait un évanouissement qui réussit à merveille. Le régent pardonne, et Lauzun a pris sa revanche.

Le troisième et le quatrième actes peuvent-ils être comparés aux deux premiers ? Pour répondre à cette question, il suffit de se demander quelle est la valeur littéraire des travestissemens. À cet égard, tous les avis se réunissent. C’est un moyen qui remonte à l’enfance du théâtre. Je suis donc