Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
REVUE DES DEUX MONDES.

possible pour sauver son honneur ; il ne fallait plus songer qu’à la vie. J’ai gravi rapidement les degrés de ma cellule, et je l’ai déposée dans un fauteuil près du foyer, que j’ai rallumé à la hâte ; puis j’ai réveillé mes hôtes. J’ai donné à la meunière une explication vague et confuse. Je ne sais ce qu’elle en a compris, mais c’est une femme, elle a eu pitié. Elle a rendu à Mme  de Palme les premiers soins. Son mari est parti aussitôt à cheval, portant à la marquise de Malouet ce billet de ma main :

« Madame,

« Elle est ici, mourante. Au nom du Dieu de miséricorde, je vous invoque, je vous conjure… Venez consoler, venez bénir celle qui ne peut plus attendre que de vous en ce monde des paroles de bonté et de pardon.

« Veuillez dire à Mme  de Pontbrian ce que vous jugerez nécessaire. »

Elle me demandait. Je suis retourné près d’elle. Je l’ai trouvée encore assise devant le feu. Elle n’avait pas voulu se laisser mettre dans le lit qu’on lui avait préparé. En m’apercevant, — singulière préoccupation de femme, — sa première pensée a été pour le costume de paysanne, contre lequel elle venait d’échanger ses vêtemens imprégnés d’eau et souillés de boue. — Elle s’est mise à rire en me le montrant ; mais son rire s’est tourné presque aussitôt en convulsions que j’ai eu de la peine à calmer.

Je m’étais placé près d’elle : elle ne pouvait se réchauffer ; elle avait une horrible fièvre ; ses yeux étincelaient. Je l’ai suppliée de consentir à prendre le repos complet qui convenait seul à son état. — À quoi bon ? m’a-t-elle dit. Je ne suis pas malade. Ce qui me tue, ce n’est pas la fièvre, ce n’est pas le froid, c’est la pensée qui me brûle là ; — elle se frappait le front ; — c’est la honte, — c’est votre mépris et votre haine, — bien mérités maintenant !

Mon cœur a éclaté, Paul ; je lui ai dit tout : ma passion, mes regrets, mes remords ! J’ai couvert de baisers ses mains tremblantes, son front glacé, ses cheveux humides… J’ai répandu dans sa pauvre âme brisée tout ce que l’âme d’un homme peut contenir de tendresse, de pitié, d’adoration ! Elle a su que je l’aimais ; elle n’a pu en douter ! Elle m’avait écouté avec ravissement. — C’est maintenant, m’a-t-elle dit, c’est maintenant qu’il ne faut pas me plaindre. Jamais je n’ai été si heureuse de ma vie. Je ne méritais pas cela… Je ne puis rien souhaiter de plus… rien espérer de mieux… je ne regretterai rien.

Elle s’est assoupie. Ses lèvres entr’ouvertes ont un sourire pur et