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manière le grand siècle, et en vérité, sauf toutes les restrictions voulues, c’est un aïeul de Mme de Sévigné, eu ce sens que l’un des premiers, comme le dit M. Jung, il a trouvé le vrai style épistolaire familier et simple, sans affectation et sans recherche. Les choses les plus sérieuses prennent sous sa plume ou sous sa dictée une forme d’une originalité spontanée et familière, et parfois l’idée, si simple qu’elle soit, s’échappe en quelque image colorée et rapide. Henri IV est un des premiers à qui puisse s’appliquer le mot si connu : « On croyait rencontrer un écrivain, on trouve un homme, » un homme qui, tout en faisant des vers pour Gabrielle, avait à conquérir son trône, à panser les plaies des guerres civiles, à faire tomber les armes des mains des protestans et des hgueurs en acheminant la France dans la voie de ses grandeurs prochaines.

Transportez-vous dans un autre temps et dans une autre sphère sociale, après que le xviie siècle est devenu un souvenir et que la moitié du siècle suivant est déjà écoulée. C’est une autre nature d’homme qui se révèle dans les remarquables et abondantes études de M. de Loménie sur Beaumarchais et son Temps. Ce n’est plus un prince intrépide et gai, couchant sur la dure, traversant les ligues ennemies pour aller voir ses maîtresses ou gouvernant avec autant de dextérité que de vigueur : c’est un homme d’une vulgaire origine se mettant de propos délibéré en lutte avec la fortune, menant de front les entreprises les plus étranges, et trouvant au bout de tout une fin obscure au sein des déceptions. C’est aussi à coup sûr un des plus rares et des plus curieux spécimens de la nature humaine et même de la nature française. Les études de M. de Loménie ont été lues ici même, et l’auteur n’a fait que les recueillir en leur donnant la forme du livre. Peu de travaux biographiques ont plus d’ampleur, plus d’exactitude et plus d’intérêt substantiel. C’est là, ainsi que le remarque justement l’auteur, une de ces copieuses esquisses comme il y en a peu en France, comme il y en a beaucoup en Angleterre, où l’analyse s’empare de la vie et des œuvres des hommes qui ont marqué. Tout ce qu’on peut dire, c’est que jusqu’à la divulgation de ces documens si longtemps oubliés, et dont M. de Loménie s’est servi avec succès, Beaumarchais était à peine connu. On ne soupçonnait qu’imparfaitement tout ce qu’il y avait dans cet homme singulier, mêlé à toutes les agitations et à toutes les affaires de la seconde moitié du siècle dernier. Beaumarchais apparaît véritablement aujourd’hui sous la forme d’un insaisissable protée ou d’un homme aux cent bras parvenant à concilier toutes les occupations. On le trouve horloger, et peu après il est lieutenant-général des chasses. Il part pour Madrid, où il va mener à bonne fin la fameuse aventure avec Clavijo, et le voici déjà en procès avec le comte de La Blache, avec les Goëzman, plaidant de tous les côtés, multipliant les mémoires, condamné, puis réhabilité. Il va en mission secrète à Vienne, auprès de Marie-Thérèse, qui le reçoit comme un aventurier, et tout aussitôt on le retrouve engagé dans les plus grandes affaires avec les États-Unis, ayant une marine, se débattant avec la naissante république, se faisant le prête-nom du gouvernement français. Et tout cela n’est que le prélude de la grande affaire de la représentation du Mariage de Figaro, obtenue malgré le roi. Que n’a point tenté Beaumarchais ! à quoi n’a-t-il point été mêlé ! Il négocie avec M. de Maurepas l’achat d’un dessus de cheminée pour