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à travers la porte la voix douce et grave de Mme de Malouet, à laquelle se mêlait je ne sais quel vagissement pareil à celui d’un enfant malade. — Je me suis enfui.

J’étais décidé à quitter sans retard ce lieu de malheur. Rien n’eût pu m’y retenir un instant de plus. Ta lettre, qu’on m’avait remise au retour, m’a servi à colorer d’un prétexte vraisemblable mon départ improvisé. On connaît ici l’amitié qui nous lie. J’ai dit que tu avais besoin de moi dans les vingt-quatre heures. J’avais eu soin, à toute occurrence, de faire venir depuis trois jours une voiture et des chevaux de la ville la plus proche. En quelques minutes, mes préparatifs ont été achevés ; j’ai donné au cocher l’ordre de partir en avant et d’aller m’attendre à l’extrémité de l’avenue, pendant que je ferais mes adieux. — M. de Malouet m’a paru n’avoir aucun soupçon de la vérité : le bon vieillard s’est attendri en recevant mes remercîmens, et m’a réellement témoigné une affection singulière et sans proportion avec la brève durée de nos relations. J’ai à peine eu moins à me louer de M. de Breuilly : je me reproche la caricature que je t’ai donnée un jour pour le portrait de ce noble cœur.

Mme de Malouet a voulu m’accompagner dans l’avenue quelques pas plus loin que son mari ; je sentais son bras trembler sous le mien, pendant qu’elle me chargeait de quelques commissions indifférentes pour Paris. Au moment où nous allions nous séparer et comme je serrais sa main avec effusion, elle m’a retenu doucement :

— Eh bien ! monsieur, m’a-t-elle dit d’une voix presque éteinte, Dieu n’a point béni notre sagesse !

— Madame, nos cœurs lui sont ouverts ;… il a dû y lire notre sincérité… Il voit ce que je souffre d’ailleurs ; j’espère humblement qu’il me pardonne.

— N’en doutez pas,… n’en doutez pas ! a-t-elle repris d’un accent brisé. Mais elle ! elle !… Ah ! pauvre enfant !

— Ayez ; pitié d’elle, madame. Ne l’abandonnez pas. Adieu !

Je l’ai quittée à la hâte, et je suis parti ; mais au lieu de m’acheminer vers le bourg de ***, je me suis fait conduire sur la route de l’abbaye jusqu’au haut des collines ; j’ai prié le cocher d’aller seul au bourg et de revenir me prendre demain de grand matin à la même place. Mon ami, je ne puis t’expliquer la tentation bizarre et irrésistible qui m’a pris de passer une dernière nuit dans cette solitude où j’ai été si tranquille, si heureux, et il y a si peu de temps, mon Dieu !

Me voici donc dans ma cellule. Qu’elle me paraît froide, sombre et triste ! Le ciel aussi s’est mis en deuil. Depuis mon arrivée dans ce pays et malgré la saison, je n’avais vu que des jours et des nuits d’été. Ce soir, un glacial ouragan d’automne s’est déchaîné sur la